ART | CRITIQUE

Whispering in Distant Chambers

PRaphaël Brunel
@31 Mar 2008

Avec différents médiums, Maïder Fortuné interroge l’imaginaire comme construction mentale et culturelle, comme conditionnement du spectateur. En opérant par réduction et disparition, elle opère des synthèses formelles libérées du récit qui s’ouvrent sur de nouvelles possibilités d’interprétations. 

Du travail de Maïder Fortuné, Martine Aboucaya a déjà présenté, au cours de l’exposition collective Close Up en mai dernier, l’hypnotisant Licorne. Dans cette vidéo, l’animal légendaire au crin d’un blanc virginal, corne vissée sur le front, est progressivement sali, jusqu’à disparaître totalement sur le fond noir, par une pluie boueuse.
L’artiste s’attaque ainsi à la légende populaire, démythifiant l’animal fantasmé, le renvoyant à sa nature de simulacre.

Dans cette première exposition personnelle, les installations-vidéos présentées prolongent le propos entamé avec Licorne, en interrogeant chacune à leur manière l’imaginaire collectif et les liens qu’il tisse, parfois inconsciemment, avec le spectateur.

Whispering in Distant Chambers, le titre de l’exposition, renvoie à un scénario de 1966 non réalisé par Jacques Tourneur, où deux hommes cherchent à prouver scientifiquement l’existence ou non des fantômes. Au-delà de l’allusion à la dimension spectrale des œuvres de Maïder Fortuné, ce titre renvoie à l’absence, à l’inachevé. A la poésie qui peut naître de cette vacuité.

Au projet avorté de Jacques Tourneur, à l’opportunité de le rêver à notre guise, se substitue une œuvre sonore, musique idéale d’un film non projeté, d’une scène de mort invisible. La partition interprétée est extraite d’un ouvrage de 1913 de J.S. Zamecnik, qui répertorie les airs possibles en fonction de la scène qui se joue à l’écran. Les pianistes qui accompagnaient les films muets y puisaient les morceaux adéquats au déroulement du récit.

Dans Death Scene, la frustration de ne pas voir la scène fait écho à l’impression de déjà-entendu, de déjà-ressenti de cette «bande-originale», qui suggère l’attitude et l’état du spectateur, son conditionnement sensitif.

La vidéo Curtain! parle également de cet imaginaire dominant, préconstruit et partie intégrante de notre univers mental. Dans cette vidéo, des personnages en ombres chinoise défilent lentement dans un espace sombre et brumeux. Simples silhouettes, ils restent cependant facilement identifiables, personnages de Disney ou super héros, que le spectateur ait vu les films ou non. Ils agissent ainsi comme les révélateurs d’une réminiscence, d’une mémoire profonde des références culturelles.

Le travail de Maïder Fortuné sur l’imaginaire opère principalement par réduction : une musique pour un film qui n’est pas diffusé, une silhouette pour un héros familier,  des points gesticulant pour les visages en attente de A venir, un amas de lettres pour les grands rôles du théâtre comme Hamlet ou Faust, un arrêt sur image pour le vœu d’éternité de Dorian Gray.

De cette entreprise de synthèse formelle ne subsistent que les traces, l’essence d’une projection mentale qui, enfin libérée de son contexte d’émergence narratif, peut ouvrir à nouveau son domaine d’interprétations et de perceptions.

Maïder Fortuné
— Death Scene, 2008. Installation sonore.
— A venir #1, 2008. Installation vidéo.
— A venir #2, 2008. Installation vidéo.
— A venir #3, 2008. Installation vidéo.
— Characters, 2008. Techniques mixtes.
— Curtain !, 2007. Installation vidéo.
— Once, Forever, 2008. Installation vidéo. 

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