PHOTO | CRITIQUE

Weiss

PSarah Ihler-Meyer
@07 Déc 2008

Surchargé d’informations, l’environnement culturel est soumis par Yann Sérandour à une dé-saturation, fondée sur le vide et l’infiltration d’œuvres anciennes. Ici, la création passe davantage par la réactivation de l’Histoire de l’Art que par l’élaboration de formes nouvelles.

Plein à craquer — d’œuvres et d’artistes — le monde de l’art demande de l’air. Deux pièces de Yann Sérandour rappellent cet état de fait.
La première,
Le Plein, renvoie à une performance réalisée par Arman en 1960 à la galerie Iris Clert. Il s’agissait alors de rassembler dans une salle d’exposition un nombre si important d’objets que personne ne puisse y entrer.

Ici, seuls les noms de ces choses sont écrits sur l’un des murs de la galerie GB Agency. Classés selon différentes catégories — automobile, disques, livres, coupures de presses, etc. —, ces termes saturent complètement leur surface d’inscription. Nul espace vacant au sein de cette prolifération de mots.

Dans le même esprit, des revues et des livres d’art sont posés au sol contre un autre mur (Weiss). Art Press, Artforum, Flash Art, Yan Sérandour réunit une part volumineuse, et pourtant infime, des magazines culturels existants.

Face au trop plein, l’artiste propose deux voies de sortie. La première est d’introduire du vide. Ce qu’il fait avec Weiss — blanc en allemand —, titre éponyme de l’exposition. Sur une table, un dépliant est constitué des pages vierges recueillies dans les revues placées au sol. De manière littérale, Yann Sérandour révèle des blancs dans ce qui est gonflé d’informations.

La seconde alternative repose sur l’infiltration de l’histoire de l’art. Celle-ci débute avec Portrait d’un jeune homme lisant un magazine pour messieurs. Rien de plus n’est offert au regard qu’un miroir — fixé à l’entrée de la galerie — au bas duquel est coincée une photo des années 50. Et pourtant, la conjonction de ces deux éléments provoque une collision complexe : le reflet virtuel de Yann Sérandour dans le miroir rejoint le passé véhiculé par la photographie du jeune homme, dont le physique est proche de celui de l’artiste. Plus que ressuscité, le passé n’existe qu’au regard du présent.

À partir des photographies de Neuf déplacements de miroirs, effectuées par Robert Smithson en 1969, Yann Sérandour poursuit son incursion dans le passé (Yucatan Mirror Displacements (1-9)). Un miroir réel a remplacé les miroirs photographiés. Le spectateur voit ainsi sa propre image à l’intérieur de l’œuvre de Smithson.

En d’autres termes, Yann Sérandour fait à nouveau se rencontrer le temps passé — celui de la reproduction — et le temps présent, réfléchi dans le miroir. L’enjeu de Neuf déplacements de miroirs est rejoué : ce n’est pas l’homme qui reproduit la nature par le biais de l’art, mais la nature qui reflète l’homme dans son rapport au monde.

La récupération d’œuvres anciennes se poursuit avec une installation, volontairement située dans la réserve de la galerie.
Six pièces de Yann Sérandour (
Tableau suisse, Perfects Lovers, Complet, Interview with a Cat, Appendice à «Une et deux chaises», Inside The White Cube) et trois d’artistes différents (Post Modern Tragedy, Lamp I de Mac Adams, A Pile of Needles and Nails de Jiri Kovanda, et The Day after Yesterday de Roman Ondak) composent ce dispositif axé sur le recyclage.

À la création de formes, Yann Sérandour préfère la réactivation d’œuvres anciennes, dont le passé peut être l’objet de nouvelles actualisations.

Yann Sérandour

— Weiss, 2008. Catalogue d’exposition relié en leporello. 30 x 24, 5 cm. Deux cartons de publications reçues par la galerie. 37 x 24 x 35 cm chacun. Table à tapissier. 72 x 200 x 60 cm.

— Le Plein, 2008. Impression numérique sur papier. Dimensions variables.

— Portrait d’un jeune homme lisant un magazine pour messieurs, 2008. Miroir et photo ancienne trouvée. 75 x 54 cm.

­— Yucatan Mirror Displacements (1-9), 2008. Série de neufs découpages. Pages de livre découpées, miroirs, verres, pattes de fixation. Dimensions variables.

— Perfect Lovers, 2008. Affiche encadrée, horloge. 47 x 34 cm.

— Complet, 2007. Néon monté sur altuglas. 50 x 80 x 5,5 cm.

— Interview with a Cat, 2008. CD audio. 4 mn 54 s.

— Appendice à « Une et deux chaises », 2006. Impression laser couleur sur papier, dictionnaire, coffret toilé noir. 19 x 12,5 x 21 cm.

— Tableau Suisse, 2005-2008. Peinture acrylique sur tableau chinois. 100 x 100 cm.

Mac Adams

— Post Modern Tragedy, Lamp I, 1988. Photo couleur. 101,6 x 76 cm.

Jiri Kovanda

— A Pile of Needles and Nails, 1981. Photo noir et blanc. 29,4 x 21,2 cm.

Roman Ondak

— The Day after Yesterday, 2005. Extrait de journal et photo couleur réunis dans un cadre. 51 x 86,5 cm.

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