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Wedge for now

Après avoir été anthropologue, Richard Nonas a déplacé son goût de l’échange dans son travail de sculpteur. Dans Get Out Stay Away Come Back, il affirme que «la tâche de la sculpture, c’est la communication […] la reconnaissance d’un abîme, d’une gorge profonde que nous ne pourrons jamais, dans aucun temps, dans aucune culture, franchir; un abîme entre nous-mêmes et le monde extérieur». La radicalité de son écriture est à l’image de ses propositions spatiales: c’est de la concision qu’elles puisent leur force.

Philanthrope, Richard Nonas considère que « le lieu est l’espace à la première personne du pluriel : notre premier instrument abstrait. Le lieu est la langue maternelle de la sculpture».

Dans le grand espace de la galerie Anne de Villepoix les œuvres expriment le «principe de Nonas» dans toute sa splendeur: dire le plus avec le moins. Et faire en sorte que les forces contenues dans chaque œuvre se complètent. Déployant un art de la contradiction, les travaux rassemblés dans la première salle se distribuent selon deux niveaux (terrestre et aérien).

D’une part, un réseau de barres métalliques se répartit en pointillés au ras du sol. L’agencement exprime le paroxysme de la simplicité. Les pièces s’organisent en équilibre et cependant elles apparaissent comme immuables puisque chaque place est définitivement assignée. Bien qu’elles soient toutes identiques, leurs apparences diffèrent selon leur disposition. Rien ne semble pouvoir être remis en question dans ces assemblages qui déterminent en partie le chemin du spectateur. Longeant d’abord la diagonale qui le guide, il explore peu à peu ces sculptures phénoménologiques.

D’autre part, des structures indépendantes les unes des autres se succèdent sur les cimaises. Intervient pourtant le même vocabulaire minimaliste. Le précepte de Sénèque selon lequel «le langage de la vérité est simple» pourrait être celui de ce «sculpteur-naturaliste» qui prône l’art de la «simplicité volontaire».
Aussi, la rusticité est de mise dans le choix de certains matériaux: des planches de bois bruts sont juste assemblées. La matière encore vivante a travaillé par endroits. Ailleurs, la corrosion a rongé en partie la texture d’autres surfaces.

Bois et métaux se retrouvent dans le second espace: à nos pieds, des barres métalliques prennent à nouveau l’allure de cales. Ainsi posées les unes sur les autres, on imagine des starting-blocks ou des tremplins. Au fond, des branches de différentes tailles s’alignent, dressées en appui contre le mur. L’extrémité, scindée en deux parties. Il en émane une impression d’archaïsme et un parti pris de sobriété extrême.

Sans titre, les œuvres affichent une grande humilité. Elles s’intègrent parfaitement dans l’espace ouvert de la galerie. Elles ont trouvé leur lieu.

De ses périples au sud de l’Arizona, dans l’Ontario ou les déserts mexicains, Richard Nonas a rapporté l’esprit de dépouillement et le souvenir de l’épure. S’il parle de la sculpture en terme de «cicatrice», invoquant un «art transformé dans un temps autre, gonflé et durci pour passer du lieu à la chose réelle», c’est peut-être pour évoquer la présence en creux des images inflexibles de ses voyages restituées avec la netteté d’un minimal art téléporté dans notre époque.

Dans ses sculptures, Richard Nonas part à la recherche de la «structure interne» du matériau pour retranscrire l’esprit du lieu. Il œuvre avec la même précision et la même distance que Glenn Gould interprétant un morceau de Bach. Ecartant toute surenchère affective, c’est la même netteté des gammes qui en découle. C’est la même incarnation du «quale», envisagé comme l’expression des qualités des matières et des lieux, dans toute la quintessence, qui en émane.

Publications
— Richard Nonas, Get out stay away come back, Les Presses du réel, Dijon, 1995.
— Richard Nonas, City Man attacks everyone, A bruits secrets, Dunkerque, 2000.
— Henri David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Gallimard, Paris, 1990 (éd. orig. 1854)