ART | CRITIQUE

We Are Not Evil

PMagali Lesauvage
@12 Jan 2008

La galerie Lacen, récemment inaugurée rue de Bretagne, consacre une de ses premières expositions à la jeune artiste polonaise Jagna Ciuchta, dont le travail explore avec intensité divers modes d’expression, pour former une œuvre affirmant la force des images.

L’œuvre majeure de l’exposition, Test de Rorschach, minutieusement réalisée en bois découpé, fonctionne comme une monumentale interrogation mentale sur la réalité du monde: à la manière des fameux tests psychologiques, une carte du monde, dont la trace aurait été imprimée sur une feuille de papier dépliée, présente ses deux faces symétriques. L’image est saisissante puisque le spectateur, à la recherche d’une interprétation, ne peut s’empêcher d’y projeter une interprétation du monde en tant que réalité géopolitique. Ainsi Jagna Ciuchta établit-elle un lien direct, faisant appel à l’inconscient et à ses projections, entre l’image et la pensée. Le travail sur l’empreinte est également présent dans le diptyque La peur des grands yeux (Proverbe polonais), double photographie positif/négatif d’un mouchoir marqué d’une tâche d’encre.

On retrouve cette démarche ironique et ce travail sur l’illusion dans la série de papiers découpés Mort de rire, où des animaux sauvages au profil noir se détachant sur le fond blanc du papier se voient affublés d’un point rouge en pâte à modelé, à la fois évocation clownesque et, comme référence au point lumineux du fusil de chasseur, signe du danger.

Alliant elles aussi perfection technique et regard distancié, trois toiles de Jagna Ciuchta témoignent chez la jeune artiste d’une grande acuité psychologique. Cette série, qui donne son titre à l’exposition, possède la profondeur psychologique de certains intérieurs sombres et à l’atmosphère pesante de peintres symbolistes du début du XXe siècle comme Edvard Munch ou Léon Spilliaert. S’inspirant d’une image angélique, tirée d’un magazine de décoration des années 50, puis dédoublée à la manière du Test de Rorschach et montrant deux jeunes filles au piano, l’artiste, après avoir effectué un collage comparable à ceux de la série Mort de rire, a isolé trois détails, qu’elle a agrandis et peints pour les transposer dans une ambiance totalement différente, dont la morbidité répond à la phrase de titre: «We are not evil» (Nous ne sommes pas mauvais).

L’exposition comporte un second volet, visible à l’Institut polonais jusqu’au 31 juillet 2007, où l’on peut voir notamment une œuvre tout aussi impressionnante que Test de Rorschach. Constitué d’allumettes suivant précisément le dessin des Hasards heureux de l’escarpolette, toile libertine d’Honoré Fragonard, Sans titre, enflammé, reprend le thème même du tableau, à savoir l’embrasement des sens, dont elle garde nettes les traces. Ici encore Jagna Ciuchta, grâce à la qualité esthétique autant qu’au sens complexe de l’œuvre, marque l’esprit d’une image forte.

Voir également
Jagna Ciuchta, We Are Not Evil
à l’Institut polonais (31 rue Jean Goujon, Paris 8e)
du 10 mai au 31 juillet 2007

Jagna Ciuchta
Test de Rorschard, 2007. Bois. 300 x 240 cm.
La Peur a de grands yeux (proverbe polonais), 2007. Dyptique photographique (mouchoir tâché, photographié), digigraphie sur papier velin.
Mort de rire, 2007. Série de 12 dessins de 50 x 70 cm, papier arche et papier noir découpé, pâte à modeler.

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