ART | CRITIQUE

Wasted Youth

PAnne-Lou Vicente
@12 Jan 2008

L’artiste britannique présente une série d’installations: un art en trompe l’œil qui transpose de manière contemporaine deux traditions picturales de la Renaissance, la vanité et l’anamorphose. A ne pas en croire ses yeux...

Ce n’est sûrement pas un hasard si «Wasted Youth», titre de l’exposition de James Hopkins, joue sur la polysémie, transposée ici sur le mode visuel.
Un sens peut en cacher un autre: jeunesse gâchée, perdue, mais aussi jeunesse saoule, ivre d’excès. L’œuvre éponyme de l’exposition est une étagère murale (cinq planches) sur laquelle est disposée, dans un désordre factice, toute une série d’objets du quotidien ayant trait à l’univers de l’adolescence: des cadavres de bouteilles, une boule à facettes, une guitare électrique, un ampli, une chaîne hi-fi, un poster de Kurt Cobain, des bombes de peinture, une planche de skate-board, des disques compact et vinyles, un cendrier, etc. Une horloge aussi, symbolisant le temps qui passe, et, a fortiori, la mort qui approche.

Cette composition, subtilement trafiquée (certains objets sont coupés, déchirés, d’autres cassés, dégradés), dessine une tête de mort. «Vivre vite, mourir jeune», telle pourrait être la devise de cette jeunesse à vif, pleine de vie et de mort, sur fond de musique rock: la chaîne hi-fi passe des tubes de Nirvana, Jimi Hendrix, The Doors, etc. Groupes mythiques, stars au destin tragique, aux vies consumées par les deux bouts. Kurt Cobain, ex-leader du groupe Nirvana, s’est suicidé à 27 ans, tandis que Jimi Hendrix (27 ans) et Jim Morrison (28 ans) sont morts d’overdose…

Avec Wasted Youth, James Hopkins remet au goût du jour deux traditions picturales de la Renaissance: la vanité (nature morte symbolisant la brièveté de la vie, composée presque systématiquement d’un crâne humain) et l’anamorphose (représentation volontairement distordue qui prend un aspect réaliste seulement lorsqu’elle est vue sous un certain angle ou au travers d’un système optique). Cette réactualisation de la vanité et de l’anamorphose vise à nous inviter à y regarder à deux fois, à attirer l’attention sur la fiabilité de la vue.
Ce sens, particulièrement requis dans le domaine de l’art — les arts visuels —, apparaît tantôt comme gage de véracité, («Je (ne) crois (que) ce que je vois»), tantôt comme un traître. Immergé dans l’ère du tout-image, notre bel œil se fait bien berner. Il n’y a en effet parfois qu’un cil entre voir, et avoir des visions…

C’est ce qu’évoquent clairement les pièces Echo et Check, deux mots qui se dupliquent grâce à un jeu de miroir. Des lettres posées sur une étagère forment le mot «Echo» qui se répète dans un miroir, réalisant visuellement la définition même du mot. Procédé similaire pour «Check» (vérifier, soit regarder une seconde fois): les cinq lettres du mot, posées au sol, se réfléchissent dans un miroir, offrant alors une possible vérification.

L’installation intitulée Sliding the Scale a également recours à l’anamorphose: un piano à queue, que l’on croirait dans un premier temps «normal», est en réalité distordu, les touches obliques, orientées vers on ne sait quoi. L’objet semble alors emprunter une direction, prêt à s’incarner en quelque être vivant.

Kicks in the Park est un banc de pique nique maintenu dans une position d’équilibre sur un côté. De ce même côté, une série de bouteilles d’alcool entamées sont plantées dans le plateau faisant office de table: à l’ivresse s’oppose l’idée d’équilibre, un équilibre à l’allure toutefois précaire car l’objet titubant semble menacé de tomber à la renverse.
On retrouve cette même idée dans Rocking Chair, qui n’est pas présentée dans l’exposition. Dans un effet d’arrêt sur image, un rocking-chair (fauteuil à bascule) est immobilisé à un point d’équilibre critique, juste avant une chute que l’on imagine inéluctable.

C’est à nouveau une bouteille d’alcool qui se trouve posée horizontalement sur un trépied en bois, telle une longue vue ancienne: l’œil, collé au goulot, voit comme à travers un kaléidoscope, une vision éclatée qui évoque un état d’ébriété avancé.
A une autre échelle, ce jeu de miroirs existe aussi dans la pièce Acid Rain, une serre aux parois faites de miroirs. L’image du visiteur, seul dans ce palais des glaces miniature, est alors démultipliée à l’infini, sous tous les angles. Une façon pour Hopkins d’évoquer les dérives scientifiques actuelles (ici, le clonage humain), et leurs conséquences souvent néfastes sur la nature (comme l’effet de serre, précisément, ou les pluies acides).

Dans la seconde salle, l’artiste revient à des préoccupations plus légères, tout en ayant recours à des procédés déjà utilisés. Comme il l’avait fait avec les personnages du dessin animé américain «Les Simpson», James Hopkins se sert ici de l’anamorphose pour figurer les quatre personnages vedettes de la série «South Park», Kiel, Kenny, Stan and Cartman. Une seule perspective, un seul angle de vue permet à notre œil de recomposer les quatre personnages en pièces détachées, juchés sur une estrade.

En mettant en évidence l’illusion optique, James Hopkins nous incite à regarder plutôt qu’à voir, à déceler le sens caché de ce qui semble banal, à première vue, à recomposer une réalité apparemment disloquée. Ouvrez l’œil et le bon !

English translation : Margot Ross
Traducciòn española : Santiago Borja

James Hopkins
— Sliding the Scale, 2006. Bois, peinture et plastique. 90 cm x 140 cm x 280 cm.
— Acid Rain, 2006. Métal, bois, miroir. 193 cm x 193 cm x 257 cm.
— Wasted Youth, 2006. Matériaux mixtes. 161,6 cm x 62,5 cm x 46 cm.
— Kicks in the Park, 2006. Bouteilles de bière et bois. 110 cm x 150 cm x 140 cm.
— Kiel, Stan, Cartman and Kenny, 2006. Plastique et acrylique. 102 cm x 150 cm x 122 cm.
— Echo, n.d. Miroir, bois, plastique et acrylique. 19cm x 70cm x 19cm.

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