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Wang Du

L’exposition itinérante de Wang Du, artiste chinois vivant en France, confronte le spectateur, « consommateur de médias et objet consommé par les médias », à des installations monumentales où images saturantes et icônes mondialisées critiquent le pouvoir des médias et les stratégies de communication.

Interview
Par Clément Dirié

Après Rennes, Lyon et Toulouse, le Palais de Tokyo accueille jusqu’au 2 janvier 2005 la quatrième étape de « Parade ».
Cette exposition, construite autour de l’œuvre Défilé (2000), est chaque fois différente, adaptée au lieu de présentation. C’est une expérience physique et médiatique au sens où le spectateur, « consommateur de médias et objet consommé par les médias », est confronté à des installations monumentales où images saturantes et icônes mondialisées critiquent le pouvoir des médias et les stratégies de communication.
Une monographie est à paraître courant décembre.
Entretien réalisé le 18 octobre 2004, à Alfortville.

paris-art.com. Quelles sont les raisons de ta présence à Paris et quels sont tes rapports avec la Chine ?
Wang Du. La raison de ma présence en France est l’amour. En tant qu’artiste, je ne travaille pas sur des thématiques chinoises. Je ne traite pas de la tradition et de la culture chinoises. Je travaille sur l’information, y compris sur des informations chinoises bien sûr. Mon travail se fait à partir de la vie actuelle, de la société commune. Je mélange et joue avec les images. Elles sont toutes traitées de la même façon. Aucune n’a de valeur spéciale.

Qu’en est-il de tes influences ? De tes liens avec les artistes chinois, Chen Zen par exemple, qui a été exposé peu avant toi au Palais de Tokyo ?
C’est difficile de citer des artistes précis. Je dirai plutôt que l’héritage du Pop Art est très important pour mon travail. Je m’intéresse beaucoup à l’histoire de l’art. Il faut savoir et puis oublier. Chen Zen était un de mes amis, il a travaillé sur les dialogues entre différentes cultures. Pour par part, je ne traite pas de discours, je pars d’une base sociale qui concerne tout le monde, de la réalité. La réalité, c’est ce monde carrément informatisé, médiatisé. C’est la base de mon travail. Je pense depuis ma place. Chaque individu est un monde qui s’exprime et réagit par rapport au monde. Il existe une circulation continue entre l’individu et le monde.

Comment choisis-tu les images que tu utilises, que tu rends tridimensionnelles ?
Je choisis l’image par rapport au projet. C’est le projet qui me donne l’idée de l’image à choisir. A elles seules les images ne m’attirent pas : ce n’est pas « telle image me plaît » ou « telle image ne me plaît pas ». Au contraire, toutes les images sont pour moi identiques. J’élabore un projet, et je cherche ensuite les images pour l’exprimer.

Peux-tu me parler de la pièce que tu as réalisée à San Gimignano ?
C’est une œuvre in situ, dans la ligne du Land Art, qui traite du tourisme. Toutes les cultures sont aujourd’hui devenues touristiques. On regarde d’abord les images, puis les choses, c’est-à-dire que les choses sont tout de suite médiatisées. Aujourd’hui, les gens disposent de plus de temps pour sortir, voyager, découvrir un autre monde. Finalement, ils ne découvrent rien parce que tout est déjà informatisé par les médias. Les livres touristiques parlent déjà de tout, de la culture, du paysage, des traditions. Le touriste arrive juste pour vérifier les indications du livre. Qu’est-ce qu’il lui reste à découvrir ? Il est surtout devenu un objet consommé par le média, par l’information.
A Rome, les ruines antiques ont une valeur temporelle, mais elles évoquent surtout une histoire foutue, détruite. C’est elle qui est devenue un objet de consommation. Je veux me moquer de cette situation. Dans certains endroits, on renouvelle l’antique, le monument ancien, pour attirer le touriste. Les ruines les plus originales deviennent artificielles pour construire une histoire culturelle. Dans ce contexte, je présente un pistolet d’enfant découvert sur le mode des fouilles archéologiques. On découvre un objet qui n’existe pas. Pendant le travail, qui a duré une semaine, des touristes disaient : « Ah, une ruine archéologique ! ». Ce à quoi je répondais: « On l’a trouvé aujourd’hui. Il y a là dix mille ans d’histoire ». Les gens nous croyaient. Ce n’est pas une critique sur la culture touristique mais une façon d’être provocateur et de susciter cette question : « Qu’est ce que c’est que cette fausse ruine ? ».

Comment travailles-tu en atelier ?
Normalement, je ne fais pas de maquettes, de dessins préparatoires. Je fais directement l’œuvre en miniature dans le même matériau que l’œuvre finie. Après, je travaille sur les mesures, avec l’aide d’assistants. C’est une technique très classique de modelage, moulage, montage.

Que veux-tu dire par « Je veux être un média » ?
C’est une phrase pour tout le monde. Je veux être un porte-parole populaire. Je veux être un média parce que chaque individu est un monde. Par exemple, cette histoire de Monica Lewinski, un individu avec sa propre histoire, la petite maîtresse de Bill Clinton, qui est devenue tout d’un coup le matériau des médias du monde entier. Un matériau que l’on peut déformer. C’est aussi un rappel de la phrase d’Andy Warhol : « Je veux être une machine ».

Quelle est la place de l’artiste dans ce monde que tu décris ?
L’artiste a surtout pour fonction de transmettre, de faire passer les choses. Mais les cas sont différents selon les moyens d’expression. Dans l’art contemporain tout peut servir de moyen dont chaque artiste se sert selon son propre point de vue. L’art contemporain n’est pas concentré sur les modes de représentation classiques comme la peinture, la sculpture. Les questions esthétiques sur les matériaux et les couleurs me semblent devenues secondaires. Le travail se fait sur le point de vue.

Qu’en est-il de la performance, lorsque l’artiste devient lui-même le médium ?
J’ai fait très peu de performances. Deux fois. Pour moi, c’est un complément des œuvres. Ce n’est pas l’œuvre.

Peux-tu parler de Body Works, une œuvre sur cette famille où les images utilisées ont été modifiées ? J’ai utilisé la technique du montage. Chaque personnage est construit avec plusieurs images. L’œuvre parle du processus lui-même et de la façon dont on perçoit notre corps dans la réalité. On n’est jamais satisfait de notre propre corps. Il existe la chirurgie esthétique pour changer de sexe, se transformer, la musculation, les vitamines en pharmacie. Pourquoi les gens veulent-ils transformer leur corps ? Pour chercher leur propre identité dans la société.
Autrefois, pour savoir « qui je suis », on faisait beaucoup d’analyses sur la famille, l’héritage. Aujourd’hui, la société est devenue un miroir. On s’interroge, face à ce miroir, sur le rôle que l’on voudrait jouer. Du coup, les transformations du corps conduisent à changer aussi l’esprit. Il y a une évolution artificielle. Dans la famille, chacun a sa propre histoire, même le chien. Le fils est coincé sur son sexe. Est-ce que c’est un homme ou une femme ? Il voudrait être plus libre, être un vrai humain. La fille a changé sa tête comme une extra-terrestre. Elle pense que tout le monde a plus ou moins la même tête et que c’est une limite pour penser. En changeant de tête, elle pense qu’elle acquiert une autre façon de réfléchir. La mère voudrait être plus jeune et plus attirante. Elle se fait refaire des seins à la Lolo Ferrari et fait de la musculation. Le père est fan de Michael Jackson. Une fois à la retraite, il se fait opérer pour lui ressembler. Le chien, lui, voudrait être humain et essaie d’imiter ses maîtres.
On ne sait pas si c’est une famille du futur ou une famille actuelle. L’œuvre est influencée par la haute technologie : ce n’est pas la pensée mais la haute technologie qui dirige la société. La pensée, elle, dure trois jours. Il y a tous les jours du nouveau, comme dans les journaux.

Tu es abonné aux journaux ?
Non, je les achète de temps en temps et je les garde. J’ai des projets pour l’année prochaine — Nantes, Vancouver —, et je suis en train de réfléchir à des projets futurs, très différents de ceux de maintenant.

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