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Walking Next to Our Shoes… Intoxicated by Strawberries and Cream, We Enter Continents without Knocking…

PSophie Grappin
@14 Oct 2010

Avec son titre à rallonge, la pièce ne dépareille pas des anciennes œuvres de Robyn Orlin. Agencement hétérogène de tableaux vifs, hauts en couleurs, elle déroule une logique de marabout-bouts-de-ficelle qui malgré son côté systématique séduit par une énergie et un propos fort.

Juxtaposant plusieurs réalités de la vie contemporaine en Afrique du Sud ― les conditions de vie précaires après l’exode rurale, l’épidémie du sida, l’immigration vers les pays riches du Nord ― la pièce célèbre une nation à mesure qu’elle en révèle les difficultés. Robyn Orlin aime son pays et cela se sent. Portée par les chants et la danse du chœur traditionnel « Phuphuma Love Minus », il se dégage de cette mise en scène une impression d’instantané, zeitgeist d’un état à l’autre bout du monde dont on aurait réussi à isoler la conjonction des temps.

Ainsi, la persistance d’une culture ancienne s’apprécie au travers des mélodies quand les paroles racontent tout autre chose. Alliés aux vêtements de swanker (ces sapeurs très chics qui ont fait l’objet d’une précédente pièce de Robyn Orlin), les mots décrivent de nouveaux rituels, ces coutumes contemporaines qui accompagnent la misère ou l’espoir, mais aussi la fierté d’un peuple. On clame l’importance d’une paire de chaussures, à mille lieux du cliché faisant de l’africain pied nu une métonymie du continent. Retirer ses chaussures, être à côté de ses pompes, c’est avant tout être très pauvre en Afrique du Sud. C’est venir de la campagne et avoir l’obligation d’enlever ses chaussures dans l’hôtel où l’on loge, pour ne pas réveiller les autres travailleurs précaires.

Intoxicated by Strawberries and Cream? Une belle image pour parler du sida, qui n’épargne personne, ni les jeunes ni les femmes mariées. A l’aide d’un grand rouleau de papier blanc et d’un interprète à la voix aigrelette, Robyn Orlin nous dépeint cette prétendante au mariage, faisant son autopromotion comme si elle n’était qu’un pur produit domestique: «I can clean ! I clean myself ! I can make ten babies !».

Avec trois fois rien, la chorégraphe parvient à esquisser une situation dans toute sa justesse, à la manière d’un coup de crayon, d’un coup de griffe vengeur. Cette économie de la débrouille séduit d’autant plus qu’elle recycle tout ce qui advient sur scène, dans la salle et au-delà, jusqu’aux anciennes créations de la chorégraphe. Certains pourraient le lui reprocher : ne pas se renouveler suffisamment, s’enfermer dans un système. Pourtant, cette rumination semble révéler chaque fois un peu plus de force et de véracité.

Faire participer le public à ses créations, dans une interaction plus subie qu’initiée dans les salles occidentales, n’est pas qu’une posture. A chaque spectacle de Robyn Orlin cet échange peut même être vécu comme un affrontement. We Enter Continents Without Knocking: les interprètes pénètrent le parterre bien propret du Théâtre de la Ville, sans préliminaires, sans politesse, ils passent par dessus la foule des spectateurs, la piétinent un peu au passage, la bousculent, pour accomplir ce qu’ils ont à faire, une métaphore de leur exode et de leur voyage jusqu’à nous.

— Chorégraphe: Robyn Orlin
— Assistant à la chorégraphie: Nhlanhla Mahlangu
— Costumes: Birgit Neppl
— Lumières: Robyn Orlin, Denis Hutchinson
— Vidéo: Philippe Lainé
— Avec: Nhlanhla Mahlangu, Ann Masina, Vusumuzi Kunene, Thulani Zwane et la chorale Phuphuma Love Minus, Amos Bhengu, Busani Majozi, Mlungiseleni Majozi, S’yabonga Majozi, Siyabonga Manyoni, Jabulani Mcunu, Saziso Mvelase, Mbuyiseleni Myeza, Mbongeleni Ngidi, Mqapheleni Ngidi

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