ART | CRITIQUE

Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé? — Non

PNathalie Delbard
@12 Jan 2008

Recycler les représentations populaires pour les faire glisser vers le pastiche. Tatouer la galerie comme un tatoueur travaille sur les corps, et tenter de « sensualiser » l’espace.

D’emblée, le titre de l’exposition de Jean-Luc Verna se pose comme une manière de faire les questions-réponses; à l’idée selon laquelle l’artiste en ferait trop, celui-ci coupe court: reprenant pour la énième fois l’un de ses titres fétiches — « « Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé ? » – « Non. » » — , Verna affirme au contraire la légitimité de sa posture, qui consiste, dans tous les sens du terme, à forcer le trait.

D’abord, parce qu’il y a toujours cette dimension parodique qui s’infiltre dans chacune de ses propositions graphiques ou photographiques, et qui conduit l’artiste, à l’instar de ce grand nu doublement inspiré d’Helmut Newton et de Henry Rollins, à puiser indifféremment ses références dans l’histoire de l’art ou la culture de masse.
Comme à son habitude, Verna recycle les représentations populaires, les attitudes et les images les plus identifiables, pour les faire glisser vers le pastiche. Ici, c’est un Cupidon dodu et rieur recevant sa propre flèche (Stupid Cupid), plus loin une Wonder Woman plutôt ridée et désabusée (Sick), ailleurs un Christ version Drag Queen (Re-Mademoiselle Jésus)… Mêlant personnages mythologiques (centaure, satyre), allusions rock’n roll (Rollingston, And so you wanna be a Rock’n Roll Star)…) et ambivalences sexuelles (La garçonne, Léda l’ange…), l’artiste élabore à travers l’accumulation de dessins et transferts muraux une sorte de parade fantastique à la fois tendre et grotesque, jubilatoire et morbide.
Tel ce clown-squelette affublé d’un chapeau pointu et d’une baguette, quelque chose de la mascarade se répand dans l’air, et offre à l’exposition sa tonalité tragi-comique.

Cependant, il serait sans doute un peu rapide de réduire le travail de l’artiste à sa seule ambition ironique, soit-elle des plus décapantes. Car ce qui véritablement interpelle, plus encore que les jeux de mots habiles et les contre-façons symboliques, c’est la qualité même de la mise en œuvre graphique.
En effet, si Verna n’a de cesse d’interpréter, pour reprendre l’expression d’Éric Troncy, cette interprétation, bien que passant par la réappropriation de ses propres modèles ou par ceux de la culture populaire, est d’autant plus remarquable qu’elle se fait innovante. Il y a d’un côté l’univers de Jean-Luc Verna, avec ses obsessions et ses figures récurrentes (le fameux sigle Paramount détourné en Paramor ou ici Paramour), avec également ses habitudes techniques et stylistiques (le transfert et ses manques, le noir et blanc majoritaire, la facture spécifique du crayon et du fard), et de l’autre, l’expérimentation de l’espace, le besoin de se frotter aux contraintes inédites du lieu, pour mieux s’y couler et se l’approprier.
Ainsi, l’angle du mur devient le refuge d’un petit personnage (prenant appui pour vomir…), le hublot de la galerie prétexte à intégrer de nouvelles formes, et les sol et plafond l’occasion de créer d’autres points de vue, par ricochées.
D’un dessin à l’autre, d’une zone à l’autre, c’est donc tout l’espace qui se trouve investi, et ce avec la sensation d’une logique interne, d’un fil rouge qui relierait chacune des interventions graphiques.

Et de fait, c’est lorsque le regard rencontre à nouveau, par le biais de ce grand nu photographique, le corps bien connu de l’artiste tatoué, qu’une connivence semble se dévoiler: déplaçant littéralement l’usage du tatouage à l’espace de l’art, Jean-Luc Verna tatoue la galerie comme un tatoueur travaillerait sur un corps, ou comme un enfant s’amuserait à faire des décalcomanies.
D’une certaine manière, l’artiste tente de « sensualiser » les lieux, met du corps sur les murs et les sols (le fard n’est-il pas le signe d’un maquillage?), se prenant à rêver, peut-être, à un monde aussi tactile que visuel.

Jean-Luc Verna  :
Au mur :
— Transferts sur mur rehaussé de crayons et fards, 2003 :
Sans titre (ornement), Swastiquête, Rollingston, Stupid Cupid, Rendu, Paramour, The End, L’essaim de glace, La beauté tue, La Castiglione is not dead, Farfalle.

Au plafond :
— I do my Best, Big Foot.

Au sol :
— Léda l’ange, 2003. Sérigraphie sur transfert sur mur rehaussé de crayons et de fards (en collaboration avec Nils Trannois et Sophie Bueno).
— Transferts sur papier ancien rehaussé de crayons et de fards, cadres chêne :
Mamzelle Paramour, Fumez-moi, Bépanthène Bleu, La garçonne, Mon pauvre François, Menu, Mumus, Mr Eggman, Le miracle des fleurs, And so you wanna be a (Rock’n Roll Star), 2003; Those Boots (are made for Walking), No Name, Re-Mademoiselle Jésus, Sick, 2002; I Miss U, 1995.
— Tirages argentiques contrecollés sur aluminium, cadres bois et plexiglas : Helmut Newton, Big Nude, 1980I Henry Rollins (Rollins Band, Live), 1979 Liar, 2001.

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