ART | CRITIQUE

Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé? — Non.

PJulia Peker
@12 Jan 2008

Croisant les poses des icônes punk et des grandes figures de l’histoire de l’art, Jean-Luc Verna mêle les signes pour se réapproprier une iconographie complexe, où rayonne le maquillage.

Juxtaposant dessins et photographies, Jean-Luc Verna a retrouvé des poses identiques sur les scènes rock et dans l’histoire de l’art. Le déhanchement incongru des chanteurs reproduit à son insu gestes et expressions des grands personnages de la sculpture ou de la peinture.

Personne ne songerait spontanément au mouvement replié de l’Éve de Rodin en voyant Siouxsie interrompre Painted Bird dans une quinte. Pourtant c’est ce fil fragile sur lequel Jean-Luc Verna a tiré pour construire sa dernière exposition à la galerie Air de Paris, dont le titre résonne comme une réplique fétiche: Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé? — Non.
Ce titre, il l’emploie à chaque exposition depuis 2004, jouant de l’effet de reprise, assumant l’insistance et l’outrance.

Partant de cette généalogie très personnelle, il a ensuite reproduit ces postures communes arrachées aux pages du temps et découpées dans le mouvement des concerts, pour les mimer et se faire photographier.

Mettant bout à bout livres d’art et vidéos des concerts de Siouxsie et de Nina Hagen, il a pointé certains effets de miroir invisibles à l’œil nu. Une mimique de Nina Hagen reproduit ainsi la Ballerine de 14 ans de Degas, emportée sur scène par le mouvement de la danse, mais figée pour l’occasion par Jean-Luc Verna.

Reproduisant ces poses en studio, il incarne alors un double personnage, s’exerce à restituer la tension du mouvement, et tient une pose particulièrement difficile. Nu sur un fond blanc décontextualisé, il mime à la fois une statue de Jeune Orant de 290 av. J.-C. et Nina Hagen dans Anti-World, ou bien le Christ du Jugement dernier de la Chapelle Sixtine et Garry Glitter dans Come on.

Son corps musclé est constellé de tatouages d’étoiles, son visage criblé de piercings. Revêtue des signes punk, modelée par un entraînement régulier, sa nudité porte l’empreinte d’une culture rock. Ce corps nu échappe à la fois aux codes de la scène musicale et à ceux de l’histoire de l’art: les chanteurs ont rarement l’habitude de monter nus sur scène, et les modèles de l’art antique et classique ont une peau immaculée.
Tatoué, figé dans des poses sculpturales où se superposent l’évocation d’un concert et une image classique de l’histoire de l’art, le corps hybride de Jean-Luc Verna mêle les temps, les cultures, et les sexes.

Tous ces clichés s’intercalent entre des dessins aux motifs insolites, mais au style classique. Comme il le dit lui-même, le dessin est la colonne vertébrale de son travail sur le corps, et il travaille le dessin à l’instar de son corps.
Loin de prescrire l’immédiat et l’esquisse, les dessins de Jean-Luc Verna déclenchent tout un processus d’élaboration et de transposition. Le travail sur papier est photocopié, la précision du trait altérée par un agrandissement. Cette photocopie délibérément brouillonne est ensuite frottée au trichloréthylène, portée sur du papier ancien ou sur un mur, et rehaussée de crayons et de fards.

Rares sont les artistes à user avec tant d’affinités du maquillage. Dans ses dessins, dans ses photographies, dans sa musique, sur son corps, Jean-Luc Verna invente une esthétique du fard où rayonne le travestissement. Loin de recouvrir le corps d’un masque figé, le maquillage l’habite, l’investit de signes, incarne et affirme un désir.

Jean-Luc Verna
— Ballerine de 14 ans, Edgar Degas — Interlude, 1984, Nina Hagen. Live, Nice. Théâtre de verdure, 2005. Tirage argentique, 40 x 30 cm.
— Cornélie refusant la couronne de Ptolémée, 1646, Laurent De La Hyre — Scopitone « Save me », 60’s (jerk lent), Julie Driscoll. , 2005. Tirage argentique, 40 x 30 cm.
— Cléo de Mérode, 1895, Alexandre Falguiere — Angelitos negros, Live, 25 avril 2005. Eartha Kitt. Norwalk Concert Hall, 2005. Tirage argentique. 40 x 30 cm.
— Christ du « Jugement dernier », Chapelle Sixtine, Michel Ange. — « Come on », 1975, Garry Glitter Top of the Pops, 2005. Tirage argentique. 40 x 30 cm.
— L’âge d’Airain, 1877, Rodin, Bronze — Siouxsie / Patti Smith / Jim Morisson: respiration classique, 2005. Tirage argentique, 40 x 30 cm.
— Galas (Hiv), 2007. Transfert sur papier ancien rehaussé de crayons et de fards, collage, cadre chêne et verre. 57,5 x 43 cm.
— Momie and Daughtie, 2007. Transfert sur papier ancien rehaussé de crayons et de fards, cadre chêne et verre. 57,5 x 43 cm.
— La double morsure du désir, 2007. Transfert sur papier ancien rehaussé de pierre noire, cadre chêne et verre, cadre chêne et verre. 57,5 x 42,5 cm.
— Shadow Play, 2007. Transfert sur papier ancien rehaussé de pierre noire, crayons de couleur et pastel secs, cadre chêne et verre. 57,5 x 42,5 cm.
— Môman, 2007. Transfert sur papier ancien rehaussé de pierre noire et crayons de couleur, cadre chêne et verre. 57,5 x 42,5 cm.
— Et mon Coeur c’est…, 2007. Transfert sur mur rehaussé de crayon de couleur. 162 x 96 cm.
— Galas, 2007. Transfert sur papier ancien rehaussé de crayons et de pastels secs, cadre chêne et verre. 37,5 x 26,5 cm.

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