ART | CRITIQUE

«Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé? — Non»

PCamille Fallen
@28 Sep 2011

Une nouvelle fois, Jean-Luc Verna lutte contre la mémoire courte. Sous le même titre d’exposition que les précédentes et les suivantes «Vous ne seriez pas un peu beaucoup maquillé? — Non», Jean-Luc Verna hybride ses allégories hétérogènes, fait son alchimie, tandis qu’à la croisée des temps, «La» Verna, superbe, prend la pose.

Jean-Luc Verna, artiste polymorphe, plasticien, chanteur, danseur mais aussi professeur de dessin à la Villa Arson de Nice ne se laisse pas seulement écarteler par différentes figures appartenant à des temporalités et à des ordres hétérogènes. Comme à l’assaut du temps et de ses vanités, il les unit dans une poétique volontiers dégradée ou décadente pour, d’une certaine façon, mieux les ressusciter et les sauvegarder en les remembrant autrement, jusqu’à travers son propre corps.

Avec «Vous ne seriez pas un peu beaucoup maquillé? — Non», Jean-Luc Verna lie l’altérité à la répétition, met le paquet et Paramour (titre de l’œuvre qui, sur le modèle de la Paramount, nous fait face dès l’entrée) fait son cinéma.
Rappel, reprise, continuité, mais aussi témoignage et martyre de l’altération et de l’altérité, La Verna persiste à prendre des poses qui, faisant coïncider histoire de l’art et rock, culture élitiste et culture populaire, esthétique et érotique, masculin et féminin, articulent mais aussi déconstruisent ces oppositions.

À la croisée de temporalités, de lieux ou de milieux hétérogènes, la pose du corps qui découpe magnifiquement l’espace devient pause, mais également frappe. Le corps nu de La Verna, sculptural, tatoué, piercé, bien membré — il aime à le rappeler autant qu’à le montrer — s’exhibe, marqué au fil des années de tatouages et de piercings de plus en plus nombreux.

Modèle de lui-même, corps en devenir transhistorique à travers ses passions artistiques, La Verna est le créateur d’une œuvre dont il est lui-même une partie. Malgré des références parfois christiques, ces croisées — entre Goya et Freddy Mercury comme entre son icône Siouxie Sioux et d’autres peintres — se trouvent étoilées plutôt qu’en croix, disséminant un ciel chu d’étoiles désassemblées, peintes, tatouées ou plantées, tel le pentagramme métallique fiché dans le mur de la galerie, arme à l’idéal tranchant, rappelant peut-être celui de Léonard de Vinci avec son Étude des proportions de l’être humain selon Vitruve.

La Verna, œuvre vivante incarnée, illustrée par quelques tirages au sort à Babylone ou ailleurs, porte, au sens propre comme au sens figuré, les stigmates sublimés de l’existence, marques, traces, signatures ou encore récits évidents ou cryptés. En cela, «elle» partage avec les autres œuvres de l’exposition la mise à nu d’une surface affectée par les transferts et le fard, à deux doigts des cokrings, splendides objets en verre qui, portant les noms de danseurs (Marie, Cotillon, Chaignaud, Fokine, Galvan) élargissent diablement les perspectives.

Mais, malgré la danse, la splendeur et le sexe, le cinéma de la Paramour reste traversé par la mélancolie de la sirène face au soulier à talon haut qui nous glisse, comme l’écrit Céline, que l’amour est l’infini mis à la portée des caniches. Car, même avec des talons, la glissade dans la merde survient. L’oiseau d’enfance retrouvé pattes en l’air pétrifié, encore mort, peut bien s’armer vivant d’un couteau tranchant.
Malgré le strass et les guirlandes, plumes et cheveux noirs, tableaux d’ébène, crânes et faucille font planer la mort sur la tête — si ce n’est sur le cœur ou le sexe — de tous.

L’exposition de Jean-Luc Verna dégage ainsi une sorte d’esthétique à la fois postmoderne et classique qui réanime l’idéal du beau et son désir, avec ses piques, ses nostalgies, ses tortures mortuaires et ses tragédies. Les déjections, les maléfices et la mort continuent d’enfanter de splendides fleurs, autrefois appelées «fleurs du mal». Jean-Luc Verna lutte contre la mémoire courte et contre celui qui, comme le dernier homme de Nietzsche, périme l’art en un clin d’œil et fait passer l’avenir trop vite. Mais le chien qui, Jean-Luc Verna le sait, est aussi un ange et un saint, connaît la vérité et demande, vous le verrez: «Maintenant, foutez-moi la paix».

Å’uvres
— Jean-Luc Verna, Freddy Mercury (Queen), pendant l’ovation, Wembley, 1986, (d’après Goya, Crucifixion, 1780), 2011. Tirage noir et blanc baryté prestige, cadre bois et plexiglas. 165 x 125 x 5 cm
— Jean-Luc Verna, Ophélie au paradis fantôme, 2011. Transfert sur bois rehaussé de pastel sec et relief acrylique cheveux synthétiques, circa. 110 x 100 x 20 cm
— Jean-Luc Verna, Paramour, 2011. Transfert sur bois vernissé, guirlandes lumineuses, 80 ampoules de couleur. ø 265 cm
— Jean-Luc Verna, Les Tuileries à l’apostrophe, 2011. Transfert sur bois rehaussé de pierre noire, étoile en métal. Bois 90 x 120 cm, étoile ø 12 cm
— Jean-Luc Verna, Maintenant foutez-moi la paix ! (Le Chien de Florence), 2006-2011.Transfert sur mur rehaussé de pastel sec et de crayon de couleur. Dimensions variables
— Jean-Luc Verna, Une belle mort brillante, 2011. Transfert sur bois, rehaussé de stabilo et de pierre noire, vernissé, leds, système électrique. 120 x 67 cm
— Jean-Luc Verna, Roadie tentant d’attraper une fan grimpée sur la scène,(d’après Appolon et Daphné, 1625), 2011. Tirage numérique prestige satiné, collé sur aluminium. Cadre, 76,8 x 51,5 cm
— Jean-Luc Verna, Cramp Stomp Lux Interior (The Cramps), à l’issue d’une roulade arrière en stilettos, Astoria, UK, 1997 (d’après Josepe De Ribera, Appolon et Marsyas, 1637), 2011. Tirage noir et blanc baryté Prestige, cadre bois et plexiglas. 125 x 165 cm
— Jean-Luc Verna, Perfectos, 2011. Transfert sur bois rehaussé de pierre noire, cuir, cheveux synthétiques, guirlande électrique, acier, cuir, silicone, verre, couteau, os, résine, métal, strass. ø bois 100 cm, dimensions totales 125 x 115 cm
— Jean-Luc Verna, Le Deuil, 2011. Transfert sur papier ancien réhaussé de crayon de couleur et de fard. Cadre 50,7 x 60,7 cm
— Jean-Luc Verna, Patti Smith, live, intro de «Horses», Barbara, salut «Valse Frantz», 70’s, (d’après Kouros Agrigente, 500 av. J-C), 2011. Tirage noir et blanc baryté prestige, cadre bois et plexiglas. 124 x 84 cm
— Jean-Luc Verna, Poison Ivy (The Cramps), pause classique, (d’après Vierge de la Visitation, XIVe siècle), 2011. Tirage noir et blanc baryté prestige, cadre bois et plexiglas. 124 x 84 cm
— Jean-Luc Verna, Siouxsie Sioux (The Creatures), disant au premier rang: «There’s a lady here who wants to drink some water»,London, 1998, (d’après Diadumenos 150 apr. J-C), 2011. Tirage noir et blanc baryté Prestige, cadre bois et Plexiglas 124 x 84 cm
— Jean-Luc Verna, Wayne/Jane County (And The Electric Chairs), exécutant un twist outré pendant «Putty», CBGB, New York, fin 70’s, (d’après Lysippos, IVe siècle tardif), 2011. Tirage noir et blanc baryté prestige, cadre bois et plexiglas. 124 x 84 cm
— Jean-Luc Verna, Idéologie II, 2011. Transfert sur bois rehaussé de pierre noire, de crayon et de pastel sec vernissé. 120 x 90 cm
— Jean-Luc Verna, Good Mourning, 2011. Transfert sur papier ancien réhaussé de crayon de couleur et stickers. Cadre 49,8 x 58,2 cm
— Jean-Luc Verna, Suzanne-Janet Préault, black widow, 2011. Transfert sur panneau de bois circulaire rehaussé de pierre noire, crayon de couleur noir, voiles de coton et de soie, plumes de coq, de dinde et d’autruche. Bois ø 120 cm, dimensions totales 178 x 135 cm
— Jean-Luc Verna, Virgule, 2011. Transfert sur bois rehaussé de pierre noire et de crayon de couleur, assemblage de plastique, metal, plumes, os, corne et cheveux synthétique. Bois 90 x 60 cm, assemblage 160 x 25 x 20 cm
— Jean-Luc Verna, Silver Paramor, 2011. Sérigraphie manuelle monochrome sur vinyle tendu sur bois, leds, système électrique. ø 120 cm
— Jean-Luc Verna, Eric et moi, 1993. Transfert sur papier rehaussé de crayons et de fards. Cadre 29,5 x 30 cm
— Jean-Luc Verna, Marie, Cantillon, Chaignaud, Fokine, Galvan, 2009. Verre (production Centre International d’Art Verrier, Meisenthal).
— Jean-Luc Verna, Glissade dans la merde, 1993-2011. Tirage numérique collé sur mur.

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