ART | INTERVIEW

Vincent Olinet

PAnne-Lou Vicente
@12 Jan 2008

De l’objet à l’installation et de la photo à la sérigraphie, l’œuvre de Vincent Olinet (galerie Laurent Godin), essentiellement basée sur la sculpture, semble droit sortie d’un monde féerique, magique, que la réalité précipite vers un inéluctable désastre...

Propos recueillis par Anne-Lou Vicente

Tu participes actuellement à l’exposition de Pawel Althamer «Au Centre Pompidou», dans l’espace 315 du Centre Pompidou. Peux-tu nous parler de ce projet?
C’est un projet vraiment particulier. Avec l’artiste polonais Pawel Althamer et les dix autres jeunes artistes invités, j’ai participé à un workshop en Pologne. J’ai beaucoup aimé vivre cette expérience. C’était très stimulant de se retrouver avec d’autres personnes dans cet endroit et de se poser la question que Pawel se pose, à savoir «en quoi un artiste est utile lorsqu’il ne fait pas de l’art?».
La seconde partie du projet, consacrée à l’élaboration de l’exposition, est nettement plus complexe. A partir du moment où l’on fait une exposition collective, il faut que tout le monde se mette plus ou moins d’accord. Or tout le monde a un point de vue différent sur la question… Il faut arriver à un compromis général qui en l’occurrence s’est avéré être le théâtre d’ombres.
Quant à la réalisation du projet en lui-même, à Paris, ce fut quelque peu chaotique. On a tous dû filmer notre théâtre d’ombres les uns à la suite des autres avec des délais très courts, sans disposer forcément du matériel nécessaire en temps voulu. Les films ont ensuite été restructurés pendant l’été par Pawel. Au final, je trouve qu’il y a un aspect amateur…

Tu trouves le résultat décevant en regard de la richesse de l’expérience?
Oui. Mais cela tient aussi du fait que ce n’est pas ma pratique. Si je suis artiste, c’est pour parler de moi et de ce qui m’intéresse sans pour autant me mettre en scène. Faire de la sculpture entre autres, c’est pour moi une façon de décaler l’attention sur autre chose et de pouvoir jouer un jeu beaucoup plus facile que de faire l’acteur à proprement parler, comme pour le projet de Pawel Althamer.
Mais en fin de compte, je ne regrette pas du tout d’y avoir participé car cela apprend à savoir comment se gère un projet de groupe, comment travailler avec d’autres artistes et comment accepter un projet que tu as réalisé et dont tu n’es pas satisfait à 100%.
J’aime, lorsque je crée une pièce, piloter le projet de A à Z, et même refabriquer les outils utilisés pour sa conception. Ici, il m’a manqué quelque chose. C’était presque de l’ordre de la commande, de l’exercice.

Sur quoi travailles-tu actuellement?
Je suis en train de fabriquer un arbre. C’est un mélange entre un vieil arbre aux branches noueuses et un faux arbre, calculé, sculpté. Il mesure 4 mètres de diamètre et 5 mètres de hauteur et est entièrement recouvert de moquette, ce qui crée une continuité avec le sol. Ses branches sont trouées de telle sorte que l’on puisse y glisser des fleurs ou autres éléments végétaux, et ainsi rejouer l’arbre autant de fois que l’on veut, lui offrir un nouveau temps, une nouvelle vie. Cette idée me plaît assez de resculpter la sculpture. Il est même nécessaire que je sois là pour le mettre en place, pour continuer l’installation, la faire jouer. J’aime ainsi réintervenir sur mon travail.

Tu tiens à y mettre de vraies fleurs?
Oui ! Si l’on veut que l’arbre soit beau, il faut lui remettre de nouvelles fleurs à chaque fois. Mais il faut accepter aussi que les fleurs puissent pourrir, s’enlaidir. Ces deux idées de beauté et de désastre se côtoient et fonctionnent en même temps. Comme avec Après moi le déluge, une arche de laquelle 30 litres d’eau se déversent toutes les deux minutes. Dans un premier temps, c’est attractif et amusant de voir cette eau s’écouler. Mais au fur et à mesure, cela prend une ampleur désastreuse, voire dangereuse. On ne peut plus s’approcher du bateau, qui devient inaccessible. J’aime aussi l’idée qu’il puisse flotter à nouveau un jour…

Es-tu prêt à faire certains compromis concernant l’installation ou la présentation de tes œuvres?
J’ai déjà présenté l’arche sans eau, pour des raisons de sécurité. J’ai accepté car l’espace que l’on me proposait m’intéressait vraiment. Mais à l’avenir, je souhaiterais respecter le code de conduite de l’œuvre en quelque sorte, et présenter l’arche systématiquement avec de l’eau. Lui ôter cet élément, c’est comme rendre l’œuvre muette. C’est comme si je présentais mon arbre sans fleurs…

L’installation Chemin de faire, que tu as présentée à la galerie Laurent Godin en juin 2006, a-t-elle elle aussi un tel «code de conduite»?
Pour cette œuvre en particulier, il n’y a pas de plan défini. Je la montrerais autrement dans un autre espace, que ce soient les tronçons de rails ou les sérigraphies sous verre. J’ai précisément choisi les rails pour laisser une marge plus grande dans la présentation et pour son caractère utilitaire, fonctionnel. Les dessins peuvent être vendus séparément mais les rails sont destinés à rester ensemble.

Lors de cette exposition, tu présentais également un tout autre travail: des sérigraphies monochromes avec des petits lapins inspirés de l’univers de Disney…
Oui, c’est l’une des premières pièces qui posent les bases de mon travail actuel. Le contraste entre l’univers féerique de Walt Disney, plein de rêve, de douceur, et quelque chose de violent, désastreux, triste ou méchant m’intéresse. Combas disait que Mickey appartient à tout le monde. Ici, je réutilise le matériau Disney à travers le personnage de Pan Pan et je lui fais dire des insanités…
J’aime garder une dimension ludique et un côté bricolage personnel. C’est assez proche de la pratique utilisée dans les ateliers créatifs pour enfants.
La sculpture apporte une dimension supplémentaire. Une même œuvre détient plusieurs niveaux narratifs et peut alors raconter plusieurs histoires en même temps. Dans le cas de l’arche, on peut prêter attention à l’histoire de Noé, ou au bateau goudronné et isolé au fond d’une salle, à l’eau, à l’énergie nécessaire pour le fabriquer, etc.

La plupart de tes œuvres donnent l’impression d’être à deux doigts de la catastrophe ou d’en être déjà les victimes. Elles s’apparentent à des éléments fantasmagoriques réinjectés dans le réel.
J’aime utiliser cette idée du rêve qui devient réalité. La réalité prend le dessus et vient casser le rêve: les lois physiques font que ça ne tient pas. Elles révèlent le mensonge. C’est notamment pour cette raison que je suis parti du monde de Walt Disney: il propose un merveilleux mensonge auquel on a tous envie de croire.
C’est ce que révèle aussi l’arbre. En pensant à un arbre avec 1500 fleurs, on s’imagine quelque chose de merveilleux, qui sent bon. Mais une fois qu’il existe, on découvre ces fleurs, on sent cette odeur de végétal, qui vit et meurt. Selon le moment où on le voit, on perçoit le processus naturel des choses. Même si elles apparaissent encore très belles, ces fleurs sont en train de faner, de perdre leur beauté, leur odeur. C’est comme un décor de théâtre: ce n’est beau que d’un seul point de vue. J’aime voir comment le rêve est fabriqué, voir quelles sont les coulisses ou les ficelles qui le font tenir.

Le processus de fabrication semble tenir une place importante dans ton travail.
Oui. C’est très important pour moi d’alterner les moments de réflexion et de fabrication. J’ai dû, pour produire certaines de mes œuvres, développer un savoir faire utile à ce seul effet. J’ai fabriqué quelque 300 planches en polyuréthane pour construire l’arche. C’est le prix à payer pour faire exister l’œuvre. Avoir une idée, c’est une chose. Mais la faire exister, la réaliser, c’est une autre affaire… Je pourrais continuer à me faire mon musée imaginaire et à me promener au milieu de mes œuvres dans ma tête. Je peux les décrire mais jamais elles ne revêtiront cet aspect réel. Et même quand cela devient réel, c’est parfois au dessus de ses espérances. C’est pour cela que c’est important de trouver l’énergie pour fabriquer l’œuvre, même si c’est un projet apparemment titanesque. C’est très gratifiant d’arriver au bout de ce processus, de cet effort. De plus, le temps de fabrication est nécessaire car il permet de faire mûrir l’idée, de l’affiner.

Cela fait un an et demi, depuis l’obtention de ton diplôme aux beaux-arts de Lyon, que tu fais tes premiers pas en tant que jeune artiste. Comment envisages-tu les choses?
Aujourd’hui, être jeune artiste, c’est la cerise sur le gâteau… C’est presque devenu un argument en soi. Quelque part, c’est une vraie chance. Je n’aurais certainement pas eu autant de facilités de production, autant d’aide et d’attention il y a 20 ans. C’est très stimulant. C’est une chance et une pression incroyables. C’est à double tranchant. Il faut du temps pour pouvoir s’affirmer, prendre ses marques et fixer son univers. Je veux pouvoir continuer à construire, inventer et expérimenter à mon rythme…

L’Artiste
Vincent Olinet est né à Lyon, en 1981. Il vit et travaille à Amsterdam (Pays-Bas).
Il participe actuellement à l’exposition de Pawel Althamer «Au Centre Pompidou», dans l’espace 315 du Centre Pompidou, ainsi qu’à une exposition à New-York. Il prépare une exposition à la galerie Rodolphe Janssen à Bruxelles pour mars 2007.

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