PHOTO | CRITIQUE

Villa Surprise

PFlorent Jumel
@16 Oct 2012

Souvent présentée en qualité de photographe, Charlotte Moth étend depuis quelques années sa pratique à la vidéo. Le travail composite qu’elle présente à la galerie Marcelle Alix développe en creux une réflexion sur la subjectivité du regard et explore les notions d’objet, de lumière et d’architecture.

L’espace de la galerie, nimbé d’une aura bleue, présente dans un premier temps deux photographies en noir et blanc de Charlotte Moth. Un filtre de couleur, posé sur les néons et la devanture de la galerie, modifie et oriente le regard, provoquant une mise à distance du spectateur. Le voile bleu introduit un rapport sensoriel entre les photographies et l’espace de leur exposition, travaillé alors comme un matériau. Willa Nlespodzianka, ou Villa Surprise en français, présente l’installation in-situ de la photographie d’une maison moderniste polonaise des années 30, à l’endroit même du bâtiment d’origine. La villa demeure pourtant absente, seul figure le cliché préexistant. L’intention de l’artiste a été confrontée à un impair, la villa a été détruite pendant la réalisation du projet. Menant des recherches sur cette disparition, l’artiste découvre le nom de la villa manquante, Villa Surprise. La seconde photographie, figure un socle vide, dans le parc parisien des Buttes-Chaumont.

Ces deux travaux, au caractère cinématographique assumé, renvoient à l’absence et à la disparition. Le travail de Charlotte Moth propose un discours sur l’obsolescence des représentations de paysages, d’espaces et d’architectures. En présentant des travaux en noir et blanc sous une lumière colorée, imposée par une scénographie appuyée, elle en annule la dimension historique et dessine les contours d’une narration subjective.

Au sous-sol, deux films sont projetés. L’usage de la vidéo et de la photographie s’inscrit chez Charlotte Moth dans une continuité, dans une porosité des pratiques construites sur le sensible, sur l’approche de l’image par une relation à l’expérience. La pratique photographique et la pratique cinématographique sont donc les deux faces d’une même pièce. Preuve en est la production de clichés à partir de vidéos ou encore la présentation de diaporamas numériques de photographies réalisés dans ses travaux précédents.

La vidéo Study for a 16mm Film est travaillée comme une peinture. En effet, l’artiste déconstruit scientifiquement les espaces et les modélise, avec une attention toute particulière pour la matière et l’apparition de nouvelles formes. La caméra, travaillant comme un révélateur, s’attarde ici avec un certain fétichisme sur des objets collectionnés par l’artiste, disposés sur des tables recouvertes de tissu.

Dans la seconde vidéo, In Unexpected Places, In Unexpected Lights And Colours (A Sculpture Made To Be Filmed), la sculpture lumineuse de Charlotte Moth apparaît en noir et blanc dans un désert, à Marfa, au Texas. Cette sculpture, notamment exposée au centre d’art contemporain de Genève, incite à examiner la couleur, la lumière et son énergie cinétique. Elle se retrouve dans cette exposition, protagoniste d’une vidéo hybride qui crée une passerelle entre l’absurde, le surréalisme et une réflexion sous-jacente quasi anthropologique sur notre rapport aux formes, aux constructions, aux espaces et au vide.

L’exposition «Villa Surprise» est une belle entrée dans l’univers riche et complexe de Charlotte Moth. Elle présente chez Marcelle Alix un corpus d’œuvre inscrit dans une réflexion formelle et théorique autour de la relation entre l’expérience sensible et la sculpture, l’architecture. Le regard du spectateur est en permanence construit et guidé entre espace et temporalité, incarnation et vacuité. En négatif, Charlotte Moth interroge les relations complexes entretenues entre la photographie et la vidéo, entre l’homme et son espace.

Å’uvres
— Charlotte Moth, Study for a 16mm Film, 2011. Projection film 16mm transféré sur vidéo. 11 mn 28.
— Charlotte Moth, In Unexpected Places, In Unexpected Lights And Colours (A Sculpture Made To Be Filmed), 2012. Projection film 16mm transféré sur video. 3 min.
— Charlotte Moth, Willa Nlespodzianka, 2012. Photo analogique noir et blanc, encadrée et montée sur dibond. 123 x 180,5 cm
— Charlotte Moth, …This Was The Plane – The Variously Large And Accentuated, But Always Exactly Determined Plane – From Wich Everything Would Be Made…, 2012. Photo analogique noir et blanc, encadrée et montée sur dibond. 123 x 180,5 cm.

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