PHOTO | CRITIQUE

Vik Muniz

PPaul Brannac
@23 Déc 2009

After. S’il fallait trouver un titre à la cinquième exposition personnelle de Vik Muniz actuellement présentée par la galerie Xippas, ce pourrait être celui-ci : «After» — après, d’après, l’après. Ses photographies viennent après d’autres images, sont créées d’après elles, et leur travestissement visuel ne dissimule l’image première que pour en assurer, a posteriori, la reconnaissance.

D’après Picasso, Seurat et de Vinci, d’après Brassaï, Kertesz, Weegee ou Bourke-White, Muniz, donc, trompe l’œil en tronquant l’image. Aux photographies en noir et blanc, l’artiste ajoute une foule de petits bouts de papier qui brouillent la netteté des contours et accusent les reliefs du support; faux reliefs, bien entendu, en ce qu’il s’agit de photographies.
Des Demoiselles d’Avignon, de Guernica, de La Grande Jatte ou de la Joconde, Muniz fait un puzzle dont il rassemble les pièces sans les imbriquer. Dans les deux cas, qu’il «pictorialise» la photographie ou «photographise» la peinture, le procédé dérange l’image initiale sans la défaire — son intervention perturbe la vision mais ne lui nuit pas.

La secousse artistique est un peu courte, de ces tremblements dont on se demande après s’ils ont vraiment eu lieu. En quelques secondes — en un instant — on voit l’œuvre, on note la perturbation qui la structure et on reconnaît l’originale. Peut-être devrait-on apprendre à se satisfaire d’émotions semblablement succinctes mais l’on perdrait alors, dans la jouissance de la reconnaissance (qui en est une), une part de sa complexité.

Reconnaître une image, comme rencontrer quelqu’un, quelqu’un de célèbre par exemple, dont l’image est connue, suscite un plaisir, vif d’abord, puis somme toute assez bref. C’est ensuite en ressassant la brièveté, en répétant le récit de l’entrevue par exemple, que l’on tente d’en raviver les circonstances, avant de conclure que l’on n’avait rien à dire à cette célébrité et que l’on n’a rien dit.

Il en est de même pour ces images de Vik Muniz (car il en a réalisé qui sont autrement plus parlantes que celles-ci): elles ne dialoguent pas. S’il en est ainsi de leur mutisme, c’est qu’elles sont toutes entières tendues vers le but de leur reconnaissance.
En d’autres termes, le procédé même du trompe-l’œil n’est employé qu’aux fins que l’œil s’y retrouve. On égare en fait pour borner. De là vient une satisfaction d’autant moins jouissive qu’elle est mesurée, qu’elle s’atteint aisément et ne dépasse pas plus l’instrument du détournement que son objet.
Si bien que les reproductions de Vik Muniz départissent du désir qui les anime jusqu’aux originaux, dont on oublie, dans ces conditions, qu’originellement ils sont des chefs-d’œuvre et non des pièces d’agrément.

Il est une tendance fâcheuse, qui excède les œuvres de Vik Muniz, à reprendre, détourner et interroger les images pour mettre en question les illusions qui les fondent et trompent nos regards.
En faisant ce que fait le critique, l’artiste se persuade qu’il fait alors une œuvre, comme parfois le croit le critique lorsqu’il trempe l’orteil dans la poésie et songe qu’il s’y noie. Mais peut-être que la véritable jouissance artistique vient de ce que l’on est un dupe consentant, non pas le spectateur hypnotisé du magicien, mais celui qui accorde à l’œuvre son statut, lui accorde ses émotions et son intelligence et attend, qu’en échange, l’œuvre d’art lui accorde un autre pays, un autre temps, plus éloquents que ceux où il se situe, qu’il lui octroie quelque chose qui le dépasse et lui revient — ses illusions.

Liste des Å“uvres
— Vik Muniz, Les Demoiselles d’Avignon, after Pablo Picasso (Gordian Puzzles), 2009. Digital Chromogenic Print. 188 x 181 cm
— Vik Muniz, Bread line during the Louisville Flood, Kentucky, 1937, after Margaret Bourke-White (Pictures of Paper), 2008. Digital Silver Print (Silver Gelatin LE). 122 x 169 cm
— Vik Muniz, A Sunday on La Grande Jatte, after Georges Seurat (Gordian Puzzles), 2009. Digital Chromogenic Print. 165 x 245 cm
— Vik Muniz, Guernica after Pablo Picasso (Gordian Puzzles), 2009. Digital Chromogenic Print. 135 x 300 cm
— Vik Muniz, Noon Rush Hour on Fifth Ave. 1949, after Andreas Feininger (Pictures of Paper), 2009. Digital Silver Print (Silver Gelatin LE). 158 x 122 cm
— Vik Muniz, Mona Lisa, after Leonardo da Vinci (Gordian Puzzles), 2009. Digital Chromogenic Print. 165 x 246 cm
— Vik Muniz, Viaduc d’Auteuil, after Brassaï (Pictures of Paper), 2008. Digital Silver Print (Silver Gelatin LE). 165 x 122 cm

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