ÉDITOS

Vers une école sans art ?!

PAndré Rouillé

Les périodes régressives rendent bêtes ! Elles obligent à rappeler des évidences, à redire ce que tout le monde sait, à revenir aux grands principes fondateurs de notre vivre ensemble.
Parce que, dans les périodes régressives, les évidences, les acquis, les fondements sont remis en cause. Parce que les dynamiques sociales sont inversées. Parce que ce qui a été patiemment et souvent difficilement construit est détruit sans ménagement.

C’est ainsi que l’on assiste en France à une remise en cause radicale et concertée de nombreux acquis en matière de droit du travail, de protection sociale, de rapports entre justice et police, de libertés individuelles, d’éducation, de culture, de recherche, etc.

L’art, la culture, l’éducation, la recherche n’échappent pas aux tirs croisés contre les «acquis sociaux», alors qu’on avait longtemps considéré ces secteurs comme les piliers de la République, comme les facteurs importants du développement des individus, comme les forces vives de la société, comme le socle de l’essor économique, comme les vecteurs du rayonnement et de la grandeur de la France.

Depuis plusieurs mois les initiatives et pétitions tentent d’alerter les autorités et l’opinion contre la dégradation spectaculaire de la part réservée aux arts à l’école. En particulier au travers de l’abandon presque total des classes PAC (à projet artistique et culturel).
Créées en 2001 dans le primaire, les classes PAC devaient permettre sur le temps scolaire, à raison de huit à quinze heures par an, d’organiser avec des artistes des rencontres, des interventions et des ateliers. Un budget de 1200 euros était prévu par classe, et en 2004 le dispositif devait s’appliquer à tous les élèves de l’école primaire.
Bilan : 30 000 classes PAC en 2001-2002, seulement 15 000 en 2002-2003, et moins encore pour la présente année scolaire. Autre chiffre : le budget de la mission «Arts à l’école» du Centre national de documentation pédagogique (CNDP) a été divisé par trois entre 2002 et 2004, passant de 18 à 6 millions d’euros…

Devant cette situation préoccupante, et à tous égards excessivement préjudiciable, le Conseil économique et social vient à son tour, le 10 février, de tirer la sonnette d’alarme en rappelant (mais c’est devenu tristement nécessaire) ce que chacun sait :
— notre système scolaire admet l’importance des disciplines artistiques pour le développement de la personnalité, mais il les relègue au rang de matières subalternes;
— face à ce paradoxe, en 2000, le ministre de l’Éducation nationale, Jack Lang, et celui de la Culture, Catherine Tasca, ont établi un plan de cinq ans pour développer des enseignements artistiques (notamment par le biais des classes PAC) ;
— «malheureusement, insiste le Conseil économique et social, l’avenir de ce plan n’est pas assuré. Aujourd’hui un constat s’impose : les enseignements artistiques sont souvent relégués à un rôle subalterne».

Est-il nécessaire de souligner que cela se passe en totale contradiction avec les nombreuses déclarations du ministre-philosophe de l’Education nationale et du Président de la République lui-même, et sans la moindre réaction du ministre de la Culture (que, par parenthèse, on aurait aimé voir réagir face à la censure qui a récemment frappé Vincent Epplay).
Mais c’est l’un des traits des périodes régressives que d’accroître démesurément l’écart entre le dire et le faire, entre les promesses et les faits.

Faut-il que la régression soit profonde pour que le Conseil économique et social soit contraint de redire à propos des enseignements artistiques que «les qualités qu’ils développent — la sensibilité, l’imagination, la créativité — sont à la source de l’innovation, les rendant tout aussi indispensables au dynamisme d’une société moderne que les sciences physiques ou les mathématiques».
On songe aux semblables vérités d’évidence que les chercheurs sont également obligés de clamer devant la dégradation vertigineuse de la recherche en France.

Sans toujours en prendre la pleine mesure, mais en l’éprouvant et le vivant souvent fortement dans nos corps et dans nos vies, nous sommes entraînés dans une sorte de mécanique régressive au nom de la rentabilité matérielle immédiate. Ce sont la recherche, l’école, l’art, la culture, c’est-à-dire l’avenir et le rayonnement de la France qui sont hypothéqués.

Une école sans art, c’est bientôt un pays sans artistes ni amateurs d’art. C’est une régression vertigineuse. C’est un (presque) insurmontable déni de la moitié de l’intelligence de nos enfants, les adultes de demain.
C’est une démission devant la honte récemment révélée d’un million d’enfants vivant en dessous du seuil de pauvreté…

Et tout cela dans l’oubli, ou la cynique indifférence, que l’intelligence sera la principale richesse des temps prochains.

André Rouillé.

Pétitions
Conseil économique et social : L’Enseignement des disciplines artistiques à l’école
Appel contre la guerre à l’intelligence
Pétion sur l’art et la culture à l’école
Pétition des chercheurs : Sauvons la recherche

Rectificatif
L’éditorial du 5 février mentionnait que la création du nouveau Jeu de Paume s’accompagnerait d’une réduction d’effectifs de 15 personnes, pour passer de 66 à 51. Des sources autorisées ont fait savoir à paris-art.com qu’en fait l’effectif ne dépassera guère 30. Soit d’une réduction de plus de la moitié du personnel…

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Elisabeth Ballet, Leica, 2004. Plexiglas. 180 x 980 x 83 cm. Courtesy Galerie Cent8.

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