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Unité d’habitation

PKlaus Speidel
@12 Jan 2008

«Visiblement féminine, elle a la peau brune et des tresses. Elle est née aux Etats-Unis et parle donc l’anglais comme langue maternelle. Mais elle a fait des études de français et dans un échange bref, elle peut paraître originaire d’un lieu où l’on parle le français». C’est ainsi que Renée Green se décrit elle-même...

En se décrivant de l’extérieur, Renée Green place la réflexion sur la perception qu’ont les autres de nous au centre de son travail. Comme la plupart de ses œuvres, Secret parle de dépaysement, de recherche d’identité, personnelle et nationale.

L’exposition montre des traces. Un ensemble de trois oeuvres traitent d’un travail pour lequel Renée Green avait été, avec d’autres artistes, invitée à Firminy en 1993 pour habiter un appartement de la dernière Cité Jardin de Le Corbusier, un immeuble trop grand qui était toujours resté à moitié vide.
Renée Green en a rapporté trois vidéos, un texte qu’elle a fait traduire et lire par un traducteur sénégalais (Secret Soundtrack, 2006) et une série de 73 photographies. Deux vidéos montrent l’artiste en train de préparer l’appartement et en train de «l’habiter». La musique qu’elle écoute pendant la préparation renvoie parfois à un arrière-fond ethnique. Dans la troisième vidéo on voit les visiteurs de l’appartement à la soirée de présentation au public.

Une vidéo, commandée pour le centième anniversaire d’Einstein, montre des endroits de Berlin, mais aussi de Suisse et d’autres endroits où Einstein est passé. Renée Green fait des récits (autour) de la vie d’Einstein en voix off. Einstein sert de référence implicite aux divagations personnelles que Renée Green a enregistrées à Berlin (Climates+Paradoxes, 2005). Une dernière vidéo, qui ne montre que des textes, associe le nom et les années de naissance et de mort d’un personnage qui a été «stigmatisé comme étranger», avec des informations sur sa vie défilant en bas de l’écran. Les cinq personnages retenus «étaient pacifistes et internationalistes»(Selected Life Indexes, 2005). Mais les phrases dites sur ou par les concernés, suffisent-elles pour nous les rendre familiers? Il me semble qu’elles les rendent étrangers plus que familiers.

Green interroge les relations entre l’identité personnelle, les actes et son lieu d’habitation: comment notre pays nous définit-il, comment le définissons-nous par nos actes? Comment notre origine détermine-t-elle ce que nous sommes et comment sommes nous perçus?

Lorsque Green plante une tente dans L’Unité d’habitation de Firminy qu’elle conçoit comme «ruine moderniste» et qu’elle porte le blouson de la police d’immigration des États-Unis, l’acte d’artiste critique et l’acte de vie se fondent et se confondent. L’acte d’«habiter», acte inconscient par excellence, devient ici acte artistique conscient. En numérotant les images qu’elle colle sur le mur de son appartement autant que les marches de son escalier et d’autres objets, Green introduit un semblant de systématicité dans une organisation qui reste pour autant foncièrement personnelle. Son système n’est pas transparent pour le spectateur et l’individualité de l’artiste et son idiosyncrasie résistent.

Même lorsque Renée Green nous souhaite la bienvenue avec un drapeau à l’entrée de la galerie, cela ne va pas sans dépaysement: «Bonvenon» lit-on (Bonvenon, 2005). «Bonvenon», mot d’une langue étrangère, devient notre seul salut. «Bonvenon», mot qui semble familier mais qui reste pour autant étranger, est un mot de la langue universelle Esperanto. Geste paradoxe et ingénieux: Green dit «bienvenue» dans cette langue qui a été conçue comme la langue partagée par excellence, mais qui est une langue qui reste toujours étrangère pour tous.
En nous confrontant à son univers personnel et souvent incompréhensible, R.Green nous pousse dans la position d’étrangers dans notre propre pays. Pendant quelques minutes, c’est nous, les étrangers.

Un deuxième drapeau montre une phrase en Esperanto et sa traduction: «The flag is a symbol of the fact that man is still a herd animal» («Le drapeau est un symbole du fait que l’homme est encore un animal de troupeau»). Plus que tout autre événement, la Coupe du Monde vérifie cette affirmation de l’artiste. Les citoyens de chaque pays se réunissent, tel un troupeau joyeux, autour de leurs couleurs: le drapeau est (re-)devenu le symbole de la quête d’unité et d’appartenance à un plus grand ensemble dans des sociétés qui prônent l’individualisme.

Renée Green
— Benvenon, 2005. Impression sur tissus. 116 x 368,5 cm.
— The Flag is a Symbol…, 2005. Impression sur tissus. 135 x 660 cm.
— Secret, 1993-2006. Ensemble de 73 photographies noir et blanc. 24,5 x 16,5 cm chacune.
— Secret Soundtrack, 2006. Œuvre sonore. 41 mn.
— Secret, 1993-2006. Ensemble de 3 vidéos sur DVD, couleur, son. Part 1 mn 57. Part 2 mn 59. Part 3 mn 78.
— Climates + Paradoxes, 2005. Vidéo couleur, son. 41 mn.
— Selected Life Indexes, Vidéo couleur muette. 119 mn.

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