ART | CRITIQUE

Une forme de disparition

PMarie-Jeanne Caprasse
@08 Avr 2011

Entre réalité et imaginaire, Simon Willems plonge au cœur de l’univers singulier d’un ermite sculpteur qui a façonné son environnement durant 40 ans. Cet homme différent et son art sont aujourd’hui devenus des objets touristiques. Une mutation qui, aux yeux du peintre, mène à une forme de disparition.

Cette nouvelle série de peintures à l’huile du peintre anglais puise son inspiration dans l’histoire d’un personnage singulier: Manfred Gnädinger, un allemand venu s’installer en ermite à la fin des années 1960 sur une plage de pêcheurs au nord de l’Espagne. Il y vit quarante ans, dans une cabane qu’il construit sur la plage et réalisant quantité de sculptures alentours. L’ermite meurt en 2002, sous le choc dit-on, de la marée noire du Prestige qui avait défiguré toute la côte.

Comme dans sa précédente série située à Berchtesgaden, Altitude Sickness, Simon Willems travaille un paysage devenu objet de tourisme. Il nous parle de sa vision d’un lieu tiraillé entre son histoire passée et sa destination touristique actuelle, en mettant l’accent sur la perte d’identité du lieu que cela entraîne. Travaillant à partir de photographies de vacances, il traduit un malaise devant le voyeurisme et l’incongruité des touristes en ces lieux qui étaient naguère marqués par l’ascétisme et le recueillement.

Il y a toujours dans le regard que pose Simon Willems sur le monde, une certaine dose d’humour noir. Sous son pinceau, les sculptures de Manfred Gnädinger prennent des accents anthropomorphiques. Pour cela, pas besoin de grand chose: un chapeau planté sur le sommet ou une besace attachée au niveau d’une taille imaginaire. Et le tour est joué: l’amas de pierres se transforme en touriste, et le peintre avec ironie nous le présente en Pilgrim, pèlerin, ou Just Curious. Les goélands sont également autant de métaphores de ce monde social parasite, picorant des restes de nourriture ou, comme dans Community Spirit, planant en groupe autour de la maison de l’ermite.

Willems utilise des motifs et des signes récurrents dans sa peinture. Ici apparaît la boule à neige, objet éminemment lié au commerce touristique mais qui peut être également vu comme une boule de cristal. Dans Black Snow, il y enferme un pétrolier brisé en deux, sorte de présage après coup. Mais aussi, à plusieurs reprises, la boule englobe ces sortes de touristes fossilisés, sculptures de Gnädinger métamorphosées par une simple casquette. Un double sens s’en dégage: la sculpture transformée en objet touristique, à jamais emprisonnée dans sa propre image de musée mais aussi le touriste isolé du monde finalement aveugle et insensible aux mystères des lieux qu’il visite.

La tragédie de la marée noire du Prestige est directement évoquée dans More Than Enough. Une peinture qui montre tangiblement la nappe de pétrole qui recouvre les rochers et la mer, panorama désolant au milieu duquel Willems a posé un cornet de glace, soulignant que la marée touristique est peut-être tout aussi destructrice que celle du pétrole.

La petitesse des formats qui ne dépassent pas les trente centimètres renforce le sentiment d’extraction du réel et de reconstruction dans un monde imaginaire. Willems nous invite à partager une vision intime minutieusement reconstituée où il prend un malin plaisir à jouer avec les signes et troubler l’interprétation.

 

— Simon Willems, Black snow, 2011. Oil and acrylic on linen. 30 x 30 cm
— Simon Willems, Pilgrim, 2010. Acrylic and oil on paper. 20 x 20 cm
— Simon Willems, Just curious, 2011. Oil and acrylic on paper. 30 x 30 cm
— Simon Willems, Community spirit, 2010. Acrylic on linen. 25 x 30 cm
— Simon Willems, Altitude sickness, 2009. Oil and acrylic on canvas. 65 x 45 cm
— Simon Willems, Tentacle tourist, 2010. Huile et acrylique sur lin. 25 x 20 cm

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