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Une exposition de films

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Depardon filme les gares et les métros du monde entier. Sept films, de cinq minutes chacun, nous emmène d’Addis-Abeba à Shanghai en passant par Moscou et Berlin. Ces instantanés, tournés en quatre mois, dressent un portrait utopique et incomplet de l’humanité.

Raymond Depardon est un photographe-reporter. Il est là où se passe l’événement. Membre de la prestigieuse agence Magnum il voyage à travers le monde, collabore pour des journaux, publie des livres. Depuis quarante ans il est sur tous les fronts, des plus tragiques aux plus superficiels. Présent sur tous les continents, il est un témoin attentif et discret des événements et des gens. Homme du retour, il aime revenir sur les endroits qu’il a déjà photographiés. La Maison européenne de la photographie et la Fondation Cartier lui rendent régulièrement hommage ou lui commandent des œuvres.

Pour la seconde fois, la maison de verre accueille le grand photographe, qui avait précédemment laissé ses tirages aux soins des pinceaux de l’ancien navigateur Titouan Lamasou. Amoureux de l’Afrique, fils de paysans, Raymond Depardon n’a cessé de parcourir ce continent ravagé. De ses nombreux voyages il a ramené des images de désert. Le reporter et le skipper, deux solitaires bien entourés, ont fait ensemble une œuvre à quatre dans l’exposition intitulée « Désert ».

Depardon est un témoin du siècle. Mieux qu’un journaliste, il laisse parler les autres. Il prend souvent position et photographie ceux qui sont en marge. Les sans-abri comme les petits voyous sont des catégories de personnes qu’il cartographie. Avec distance il photographie les premiers et filme les deuxièmes. Le cinéma a toujours été chez lui politique. Il expose seulement les faits, il redoute le spectaculaire et préfère opter pour le plan fixe. Son dernier film sorti en salle, Xème chambre, instants d’audience, dressait un portrait de justice aveugle et expéditive.

L’exposition sur le désert n’était pas convaincante, elle ressemblait à un capharnaüm, les pistes du désert laissaient place à un jeu de piste où l’on avait du mal à saisir les mirages qui apparaissaient. La collaboration entre l’ancien étudiant des Beaux-Arts et le photographe était hasardeuse bien qu’attachante. Cette fois-ci les films projetés sont stimulants.

Alors qu’il est habitué aux reportages classiques — photographiques ou filmiques —, Depardon présente sept films de cinq minutes chacun d’une manière « contemporaine ». Rio de Janeiro, Shanghai, Tokyo, Berlin, Moscou, Addis-Abeba et Le Caire ont été tournés en 16 mm et en couleur devant les gares et stations de métro de ces villes.
Le cinéaste filme ces voyageurs pressés et les scrute pour essayer de leur arracher un secret. A travers ce diaporama, il a eu à cœur de rendre compte d’une vérité qui reste inaccessible. Les trois quarts d’heure de film sont présentés au sous-sol dans une très grande pièce. La projection des sept très courts métrages est simultanée. A même le mur on peut découvrir les unes après les autres les sept merveilles du monde filmées de juillet à octobre 2004. Ce tour du monde en temps limité est retranscrit dans une forme panoramique.

L’astuce de l’installation réside dans ce dispositif panoptique. D’un seul regard le spectateur peut voir sur cent quatre vingts degrés les sept films. Chacun d’entre eux est décalé, ce qui permet d’insuffler du rythme. A la fin de chaque séquence, un carré d’une couleur différente apparaît pour annoncer le nom de la ville, la date de réalisation, et l’heure du début et de la fin du tournage.

En arrivant dans la grande salle, on se sent un peu déboussolé, on ne sait pas vraiment où regarder, on ne sait pas vraiment ce que l’on vient voir et soudain un film se termine et son titre apparaît. Le mystère se dévoile doucement et l’on peut, au fur et à mesure de la séance, mettre un nom sur chacune des images projetées.
Le pont de la gare d’Addis-Abeba en Éthiopie, est le point de départ de notre voyage avec Depardon. Sur cette vieille passerelle rouillée, la caméra filtre les gens et les regards, elle s’attache alors à un personnage, à ce petit enfant qui accompagne sa maman, la caméra le voit arriver dans ce long corridor puis elle pivote pour le suivre descendre les marches. Elle est libre de ses mouvements, elle fouille la foule nombreuse qui se presse nonchalamment sur cette poutrelle.

Entre plan fixe et mouvement ping-pong, la caméra cherche son sujet. Elle filtre les passants comme à travers un grillage. De ce sable qu’elle passe au tamis elle se focalise sur quelques pépites singulières. Elle balaye de son regard les voyageurs indifférents et s’attarde sur ceux qui s’échappent de son champ de vision. Elle est posée là sans raison et sans but apparents. Indifférence, crispation, bienveillance sont les trois attitudes que l’on retrouve le plus fréquemment sur le visage de ces voyageurs surpris de cette intrusion.

Sept fois cinq minutes, sept moment volés à la vie qui passe inexorablement, sept fragments d’humanité, sept micro-événements pour rendre compte de l’universalité. La tâche est légère et lourde à la fois. Légère car filmée très librement d’une façon très souple, la simplicité des moyens est proche du banal, mais la projection géante en scope est très élégante.

A côté de cette commande en forme de carnet de voyage, trois films sur Prague, New York et Paris complètent ce tour du monde.
Le film sur Manhattan est très instructif et donne une explication possible à son entreprise de documentation. Alors que tous les films sont muets, alors qu’ils flirtent avec une esthétique de la caméra de surveillance ramenée au ras du sol, Depardon explique l’histoire de ce film de 1982 qu’il a oublié dans ses archives. Il y parle de l’impossibilité de filmer cette ville, il argumente qu’elle a trop d’énergies. Cette réflexion se change en dérive, le métro aérien lui sert de chemin de traverse, il emprunte des chemins en forme de lacets pour élaborer un trajet en forme de divagation.

Dans les sept films chacun trouvera son compte, chacun cherchera à découvrir un bout de vérité, un morceau d’humanité. Les sept fragments ne peuvent exprimer le monde tel qu’il est, tel qu’il va. Les sorties de métros et de gares déversent leur flot de passagers pressés ou non, elles offrent pour le flâneur du XXIe siècle matière à réfléchir, elles sont des méditations sur la ville.

Raymond Depardon
— Rio de Janeiro, 2004. Film 16 mm couleur.
— Shanghai, 2004. Film 16 mm couleur.
— Tokyo, 2004. Film 16 mm couleur.
— Berlin, 2004. Film 16 mm couleur.
— Moscou, 2004. Film 16 mm couleur.
— Addis-Abeba, 2004. Film 16 mm couleur.
— Le Caire, 2004. Film 16 mm couleur.
— Prague, 1969. Film 16 mm couleur. 10’34.
— New York, NY, 1982. Film 35 mm noir et blanc. 9’10.
— Paris, Gare Saint-Lazare, 1997. Film 35 mm noir et blanc. 3’34.

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