ART | CRITIQUE

Une exposition d’art

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Feldmann enregistre, accumule, collectionne, archive, dresse des inventaires. De ces processus, à l’œuvre depuis la fin des années soixante, est ici proposé un récapitulatif proliférant et baroque. A la fois rejet d’un art coupé de la vie, et fascination, mêlée de suspicion, devant la prolifération émergente de l’imagerie populaire et commerciale.

Dans le hall d’entrée de l’hôtel de la rue Berryer, un David en plâtre, repeint aux couleurs crues et sans nuance de la BD populaire, donne le ton pop et iconoclaste de l’exposition. Suit le bric-à-brac surréaliste de la première salle : en son milieu, deux vitrines présentent une collection hétéroclite de petits objets du quotidien (canif, clefs, sifflet, interrupteur électrique, etc.) soigneusement alignés et numérotés ; contre un mur, deux grands cadres retiennent des mosaïques feuilletées d’images découpées dans les magazines : photos d’actualité, paysages, portraits, célébrités ou vedettes d’un jour, en noir et blanc, ou en couleurs ; sur une bande de mur, peinte en jaune vif, des cartes postales épinglées : elles reproduisent les œuvres les plus célèbres des maîtres de la peinture classique (Rembrandt, Raphaël, Botticelli, Michel Ange, Brueghel, etc.) ; et, encore, un vélo, un atlas ouvert à la page du sous-continent sud-américain ; une caméra 16 mm, prête à filmer les déambulations du visiteur, qu’un « Thank You » en noir sur blanc, remercie de sa visite (souvenir d’une exposition new yorkaise), etc.

Bref, l’artiste enregistre, accumule, collectionne, archive, dresse des inventaires. De ces processus, à l’œuvre depuis la fin des années soixante, est ici proposé un récapitulatif proliférant et baroque. Ce travail s’enracine à la fois dans le rejet d’un art coupé de la vie, tel que le prônait, au lendemain de la guerre, le purisme américain alors hégémonique, et dans une certaine fascination, mêlée de suspicion, devant la prolifération émergente de l’imagerie populaire et commerciale. Plus question donc d’en rajouter, plutôt essayer d’y mettre de l’ordre, de donner du sens. Ainsi l’œuvre participe de ce déplacement, sensible aussi bien aux États-Unis (Ed Ruscha, Dan Graham, puis l’art conceptuel) qu’en Europe (Fluxus), de l’œuvre-objet vers l’œuvre-processus.

Les carnets Bilder des débuts en sont exemplaires : exposés ici comme dans les galeries alors, en libre consultation, simplement accrochés au mur par une ficelle, ils se présentent comme des publications de série bon marché, et rassemblent chacun un nombre aléatoire d’images (sept paysages de montagne, neuf cyclistes, onze paires de genoux de jeunes femmes, etc.). Des images, sans qualité particulière, mais collectées, et réunies pour leurs analogies formelles et thématiques. Ainsi libérées de leur contexte premier de production et de diffusion, elles sont remises en circulation, via un support pauvre, et indéfiniment reproductible.

Feldmann propose ainsi une multitude de collections et de séries, d’objets et d’images, produits de consommation courante, souvent franchement kitsch, parfois retravaillés — telles ces photos de publicités pour lingerie féminine, agrandies par photocopie noir et blanc, et recolorisées —, et tous absolument étrangers à l’art. D’où cette précaution feinte que constitue le titre de l’exposition —  » Une exposition d’art  » —, qui témoigne de la défiance de l’artiste à l’égard du monde de l’art, de ses règles et de ses attentes.

Les collections ont des allures parfois désuètes, et leur accumulation frise l’entassement amorphe, mais la riche diversité des modalités de constitution et d’exposition mériterait pour le moins un inventaire… La force des procédures de Feldmann est de rendre toutes ces images, qui encombrent le quotidien, disponibles pour des récits qui instaurent des rapports littéralement imprévus avec le réel. Ainsi ces six photographies d’amateurs, retitrées L’Amore, où une femme et un homme apparaissent tour à tour, seuls, vêtus puis nus, et châtrés, semblent dire l’impossible de la fusion amoureuse. En débarrassant les images de leur carcan contextuel, Feldmann libère leur puissance fictionnelle, dont on aurait tort de ne pas se méfier.

Les Å“uvres
Pour les œuvres non titrées (la plupart) :
a. Les cartels indiquent une catégorie
— Carnet, 1968-1972. Treize carnets qui contiennent un nombre aléatoire d’images qui donne le titre, exemple : 11 Bilder.
— Collection d’images, Série du temps (les 36 vues d’une pellicule qui décomposent un court laps de temps d’une scène anodine : un homme lit le journal, une péniche passe, etc.).
b. Les cartels justifient la présence des pièces :
— Cette image n’est pas de l’art mais elle est jolie,
— Robe prêtée par Menkes,
—Train prêté par le magasin Les Haudriettes à Paris.
Œuvres titrées :
— Images réimprimées depuis des affiches de grands magasins, 1975.
— Tous les vêtements d’une femme, 1974. Photographies noir et blanc.
— Die Töten, 1967-1993. Quatre-vingt treize photographies et légendes.
— Hommage à Monica Vitti (un récipient rempli de montres à gousset bon marché dans une vitrine).
— Photographies prises depuis la fenêtre de l’appartement de Feldmann, 1985-1997.
— Vues prises depuis les chambres d’hôtel pendant les voyages de Feldmann depuis 1975.
— L’Amore, photos trouvées.
— White Cube, sculpture (le buste d’un exhibitionniste vu de dos, sur un socle cubique blanc : le titre n’est visible qu’après être passé devant « la sculpture » pour découvrir que l’imperméable ouvert ne découvre … rien, soit une allégorie de la galerie d’art…).

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