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Under Development

PNathalie Delbard
@12 Jan 2008

Mise en œuvre de l’écart entre utopie et condition de l’art : la précarité de nombre de projets artistiques; la difficulté, pour une galerie, à faire exister l’œuvre d’un artiste; le poids des nécessités techniques, budgétaires ou politiques, qui sont autant d’embûches.

L’exposition de James Thornhill, de prime abord, peut désorienter celui ou celle qui s’y intéresse. Qu’il s’agisse de l’image en double page placée énigmatiquement dans le petit livret Louise en guise de communiqué de presse, ou des palissades plaquées contre la porte et la fenêtre de la galerie elle-même, peu d’indices sont en effet laissés au spectateur curieux. Avant même d’entrer pour découvrir l’œuvre de l’artiste, le public se trouve ainsi confronté, brutalement, à ce qui ressemble à une fermeture au moins temporaire de la galerie; mais si sa vue est totalement obstruée, ce n’est pas l’inscription « fermé pour travaux » qu’il peut lire à l’entrée, mais un « Open » de bienvenue, tracé rapidement au crayon : James Thornhill, de ce fait, a bien investi la galerie Jennifer Flay, et c’est dans cette atmosphère d’instabilité, de questions laissées sans réponse, que l’artiste a choisi d’investir l’espace.

Dans la première salle, c’est une enseigne lumineuse au style un peu désuet, formée de cinq carrés de couleurs vives alignés sur le mur du fond, qui, sans autre indication, accueille le visiteur (quelques instants d’attention permettent de saisir le sens des inscriptions de chacune des cases, celles-ci dessinant en fait, par un trait noir épais, les lettres J, F, L, A et Y, suivies d’une étoile).

Dans la seconde salle, une sorte de pont-passerelle étroit en bois foncé, grinçant légèrement à chaque avancée, fournit un accès fragile aux deux autres pièces conçues par l’artiste : à gauche, tandis qu’une enseigne lumineuse — à nouveau — écrit sur fond vert, en lettres gothiques claires, les mots « Nursery World », de grandes lettres blanches, à droite, sont disposées dans un angle, certaines étant éclairées, et d’autres posées sur le côté, contre le mur, comme mises en attente (Please God Make Tomorrow Better).

Que penser de tout cela ? Si l’installation nous fournit finalement peu de clés, l’impression générale qui s’en dégage constitue sans doute la meilleure des pistes à suivre : tout semble véritablement en chantier, comme si la galerie était en cours d’accrochage ou de démontage, ou l’artiste en train de travailler, presque en temps réel. Et pour cause, avant toute chose, il s’agit pour James Thornhill de souligner la précarité de nombre de projets artistiques, et la difficulté, pour une galerie, à faire exister l’œuvre d’un artiste. Car si l’art est une utopie, une projection sans condition, celui-ci doit néanmoins se plier à de nombreuses nécessités techniques, budgétaires ou politiques, qui sont autant d’embûches à sa réalisation.

On comprend dès lors le sens de chacune des propositions de James Thornhill : Please God Make Tomorrow Better, par exemple, n’est autre qu’un projet que l’artiste n’a pu financer jusqu’au bout (dans l’idéal, la phrase dans son ensemble doit être soulignée de lumière), ce qui explique l’impossibilité pour le spectateur de pouvoir lire correctement le travail, les lettres blanches non éclairées étant mises à part et entassées, tandis que les autres ne font qu’ébaucher un « PLEASE GOD M… » à peine identifiable.

Dans la même perspective, Nursery World, annonçant la prochaine exposition de la galerie pour laquelle James Thornhill se fera commissaire en conviant des artistes de Glasgow, n’est autre qu’une enseigne récupérée sur un bâtiment détruit depuis : symbolisant la nature incertaine de l’œuvre, et peut-être la nécessité de détruire, ou de perdre, pour produire encore, elle promet également la mise en ligne d’un site internet ambitieux, ne faisant que confirmer par là-même le en-cours de toutes ces propositions.
Enfin, signe majeur de l’exposition, l’enseigne transformée en J F L A Y* — Conditional Gift (New Signs for Old : Jennifer Flay) —, n’est autre que le nouveau logo de la galerie, qui devrait très prochainement apparaître au sein de tous ses supports de communication (papier, carton d’invitation, tampon, etc.). Comme le sous-entend l’image insérée dans le livret Louise (prenant ici tout son sens), cette enseigne récupérée par l’artiste sur un immeuble en friche de Glasgow cristallise donc la nouvelle identité de la galerie, comme de nouvelles fondations offertes par l’artiste. Ainsi, si le principe a quelque chose d’émouvant, puisque ces néons détournés sont eux-mêmes liés à un site en voie de disparition, il incarne finalement un moment inédit pour la galerie Jennifer Flay, qui fait peau neuve.

En ressortant de l’exposition, le spectateur peut d’ailleurs observer une dernière fois, à travers de tous petits trous percés dans la palissade, ce qui se veut être un moment charnière de ce lieu d’art contemporain, et qui offre une vue forcément partielle de ce qui n’a de cesse, au bout du compte, de se défaire et refaire.

— Nurseryworld, 2002. Caisson lumineux volé et recyclé, plexiglas et ampoules fluorescentes, mur peint en vert. 3 x 0,80 m.
— Conditional Gift (New Signs for Old : Jennifer Flay) , 2002. Caisson lumineux volé et recyclé, plexiglas et ampoules fluorescentes. 3,50 x 0,67 m.
— Jetty for Twenty Louise Weiss (New Forester) , 2003. Poutre volée et recyclée. 6 m x 1,50 m.
— Copyright Hoarding, 2003. Poutre volée et recyclée, tôle ondulée. Dimensions variables.
— Please God Make Tomorrow Better, 2002. Proposition pour un tableau de néon dans un environnement rural. Néons, lettres en bois peintes en blanc. 27 x 18 m.
— Under Development (Production Still 1. & 2.). Affiche collée. 10 x 7,90 m.

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