DANSE

Un Monde Parfait

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@23 Avr 2013

Dérobées aux regards et à leurs habitants, les barres HLM s’écroulent sous les coups de dynamite, conséquence des plans de réhabilitation. Nappées de blancs, elles renaissent à échelle humaine au sein de l’exposition de Martine Feipel et Jean Bechameil (représentants du Luxembourg à la Biennale de Venise 2011). Les œuvres d’«Un monde parfait» ravivent un espoir dont elles déplorent également la fragilité.

«Jolis noms d’arbres pour des bâtiments dans la forêt de ciment», chantait en 1997 le groupe IAM dans son morceau Demain c’est loin. Constat alarmiste et prophétique, aujourd’hui avéré, quant à l’avenir des grands ensembles et de leurs habitants. Ces cités, conçues pour être radieuses, autosuffisantes mais ouvertes et confortables, ont cependant contredit les projets idéalistes qui les avaient fait naître pour se voir aujourd’hui destinées à la destruction. Un monde parfait.

Les œuvres, posées au sol, embaument l’espace de la galerie d’un deuil blanchâtre. Il s’agit de reproductions d’immeubles issus, pour l’un, de la cité des 4000 à la Courneuve (la barre Balzac), tandis que les cinq autres sont des répliques des tours Aillaud (ou Nuages), à Nanterre. La peinture acrylique les recouvrant a perdu toute légèreté et semble au contraire rigidifier ces modules blancs comme ont durci et dépéri les utopies des cités. Contrairement aux multiples couches d’enduits cache-misère appliquées aux HLM, les bâtiments de Martine Feipel et Jean Bechameil se montrent dans leur triste nudité; la résine s’effrite, la fibre point, les crêtes de moulages pendent.
Ce n’est pas là l’œuvre d’un maquettiste maladroit ou nonchalant, mais de maquettistes conscients.

Plus aucun vêtement aux balcons, plus d’antenne parabolique, plus d’habitant, plus de couleur. Par une inversion d’échelle, ces bâtiments passent du colosse au lilliputien, et l’immensité de Montparnasse d’Andrea Gursky semble bien loin quand la reproduction de la barre Balzac n’excède pas le mètre de haut, mais se déroule néanmoins sur 4 mètres de long. Difficile cependant de ne pas s’y imaginer, cheminant dans ce lieu qui a vu défiler squatteurs et hommes politiques, mais dont la copie déserte n’attend plus que les bâtons de dynamite qui ont détruit l’originale en 2010.

Les reproductions des tours Nuages, encore sur pieds dans la réalité, qui l’accompagnent et la dépassent (plus de 3m pour la plus haute) recréent derrière la tour Balzac l’espace de la cité. Des gouffres les creusent comme causés par des bombardements. Encore sur pieds, certes, mais déjà partiellement détruites ici. Sur le seul sommet accessible au regard, où reposent quelques poussières poudreuses, une pyramide minuscule est le catafalque de ces projets communautaires trépassés

Ces bâtiments recèlent pourtant une beauté évocatrice: les imposants volumes blancs se présentent comme supports des souvenirs des saisissants effondrements d’immeubles disparaissant dans un Dernier Souffle, selon le titre de la série de dessins qui accompagnent l’installation. Onze représentations d’immeubles s’écroulant délicatement, où de minuscules surfaces sont découpées et repliées vers l’extérieur. Autant de volets transmettant l’impression de précarité des constructions, à défaut de laisser passer la lumière. Le trait assuré et tiré à la règle de l’architecte laisse également place à la main tremblante des plasticiens, comme les maquettes larmoyantes ont balayé celles qui trônaient fièrement dans les bureaux municipaux des années 50.

Un diptyque photographique, Hope and Despair, semble cristalliser les propos présents en filigranes dans les autres travaux. D’un côté, quatre lettres blanches (HOPE) aseptisées sont fièrement érigées devant un arrière-plan ou la nature urbaine a pris le dessus, grisailles et graffiti. De l’autre côté, les macchabées de ces mêmes lettres se vident de leur plâtre. Aucune temporalité discernable entre les deux clichés, le point de vue, le fond, le ciel même n’ont pas changé, ou presque.

Many Dreams enfin, plus en retrait dans l’exposition, est un tirage photo de 80 x 120 cm où l’éther lavé se répand sur une pâle étendue de sable. Devant une mer plate, la carcasse d’un minibus contemporain des architectures reproduites par Martine Feipel et Jean Bechameil, symbole des aspirations bohémiennes d’une époque. Des valises sont arrimées sur le toit, mais les enfants ne partiront pas en voyage cette année. Telle la couronne funéraire de Journiac, le véhicule est pris au piège d’une nappe blanche qui le neutralise en même temps qu’il s’enfonce dans le sol. Au loin, une mouette, un voilier. Sous le Combi, la plage.

Å’uvres
— Martine Feipel, Jean Bechameil, Un monde parfait, 2013. Installation, matériaux de synthèse. 6 pièces, dimensions variables
— Martine Feipel, Jean Bechameil, Dernier Souffle, 2013. Série de 11 dessins, découpages et graphite sur papier, dimensions variables
— Martine Feipel, Jean Bechameil, Hope and Despair, 2013. Diptyque photo contrecollé sur Dibond. 80 x 110 cm chacun
— Martine Feipel, Jean Bechameil, Many Dreams, 2012. Photo. 80 x 120 cm

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