ART | CRITIQUE

Un choix de dessins marquants des années 2003-2010

Vernissage le 11 Jan 2011
PAugustin Besnier
@09 Fév 2011

L’exposition de Tom Sachs repose l’éternel problème du rapport entre art et réalité. En poussant au comble deux approches «anti-art» du monde, l’artiste prouve qu’analyse, synthèse, description et calque procèdent autant d’une réalisation esthétique des choses que leur réalité relève d’une abstraction scientifique et sociétale.

L’exposition de Tom Sachs à la galerie Thaddaeus Ropac repose, avec une certaine malice, l’éternel problème du rapport entre art et réalité. Dans une première partie sont exposés une dizaine de dessins de grand format, disséquant sous forme de schémas divers objets et lieux (un van de grande marque, un scaphandre de cosmonaute, une cuisine de fast-food, un okapi, etc.), dessinés au feutre et décrits dans les moindres détails.

Le manque apparent de finition (les figures, bien que précises, sont tracées à main levée, quand les couleurs, rares, sont grossièrement appliquées) et la visée ostensiblement descriptive, encyclopédique de ces «tableaux», suffiraient au premier abord pour leur dénier toute qualité artistique. Pourtant, chaque dessin est honoré d’un cartouche dans lequel figure la signature de l’artiste, accolée d’un sigle de copyright et d’informations authentifiant le lieu et la date d’exécution.

Polémiquer sur la légitimité de ces œuvres serait retomber dans un panneau dressé par une légion d’artistes, Duchamp en tête. Le fait qu’il s’agisse forcément d’art (que l’on invoque la singularité du trait, la signature de l’artiste ou, plus médiocrement, l’estampille d’une galerie prestigieuse) impose plutôt d’admettre, malgré tout principe établi, que l’art peut n’être qu’une description schématique du monde.

Qu’il puisse être description ou schématisation n’est pas neuf: le naturalisme et le cubisme, par exemple, peuvent servir de repères pour polariser deux tendances ayant, l’une, poursuivi une représentation «réaliste» des choses et, l’autre, conduit vers l’abstraction. Mais le schéma descriptif, en alliant le souci du détail à un système de signes purement conventionnels (croquis, flèches, légendes), a cette caractéristique de se dévêtir de l’apparence de l’art tout en relevant d’une abstraction certaine, ce que n’ont fait ni les ready-made, ni le Pop Art, ni même Dada. Car les graphiques, les plans, les dénominations scientifiques et les coupes détaillées, que nous comprenons instantanément, n’ont assurément rien d’essentiellement réaliste. Cette description des choses, qui semblerait être à première vue la «moins artistique», s’avère donc être une représentation tout artificielle, dont nous avons seulement pleinement intégré les codes.

Tom Sachs est en cela peu éloigné de Magritte. Au «ceci n’est pas une pipe» correspondent d’ailleurs ces deux indications apposées ici et là — «Not to scale» et «If it’s not right, don’t serve it» — qui, outre une manière d’ironiser sur la conception scientifique et la consommation des choses, suffisent à rendre inutilisables — donc artistiques ? — ces «documents».

La seconde partie de l’exposition se conçoit sans peine comme le verso de cette démarche. Tom Sachs y accomplit avec brio ce qu’une esthétique moderne a tant voulu bannir de l’art: le strict duplicata de la réalité. Pour ce faire, il recourt au papier vélin — version chic du papier calque — et duplique très minutieusement la surface d’objets. Trois cassettes audio: nous croyons d’abord à un discours rodé sur la reproduction de l’art. Puis viennent le paquet de cigarettes, l’étui de préservatif, la boîte de tampons hygiéniques et la notice de médicament.
De «vulgaires» produits de consommation, donc, que la fabrication et l’utilisation sérielles ont fini par soustraire à notre attention, par rendre transparents. Or, c’est précisément une reproduction par transparence qui attire notre attention sur ces images, significativement réduites aux emballages. Non pas une attention restituée, suivant l’idée que l’art rendrait à l’objet sa singularité (l’objet n’est pas là), mais une attention seconde, artificielle, portée sur un banal qui le demeure. Pas de fétichisme, pas de sérialité non plus (le décalque n’est pas possible): une «simple reproduction» du quotidien, qui y perd son invisibilité d’usage. Là où la sérigraphie pop métamorphosait le statut de l’objet, le calque en réalise donc, littéralement, l’image.

En poussant au comble deux approches «anti-art» du monde, Tom Sachs prouve ainsi qu’analyse, synthèse, description et calque procèdent autant d’une réalisation esthétique des choses que leur réalité relève d’une abstraction scientifique et sociétale.

— Tom Sachs, Okapi, 2010. Sharpie, synthetic polymer paint, thermal adhesive, foamcore, frame: thermal adhesive, hardware synthetic polymer paint, plywood, 144 x 1981 x 6 cm
— Tom Sachs, Moon Mission, 2008. Ink, watercolor and correction fluid on paper. 27 x 43 cm
— Tom Sachs, McDonald’s Equipment, 2009. Sharpie and synthetic polymer. paint on paper, ConEd barriers, hardware, foamcore, museum, glass. 88 x 104 x 5 cm
— Tom Sachs, Scarry Monster, 2010. Pencil, ink and watercolor on vellum. 35 x 43 cm
— Tom Sachs, Marlborro, 2010. Pencil, ink and watercolor on vellum. 35 x 43 cm

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