ART | EXPO

Ulysse, c’est moi

06 Sep - 21 Sep 2013
Vernissage le 06 Sep 2013

Avec cette exposition, Paz Corona a voulu peindre les pensées nocturnes d’une femme, comme James Joyce le fait avec le monologue de Molly Bloom, à la fin de son célèbre roman, Ulysse. L’enjeu consiste alors à décrire l’état intérieur d’une femme, dont les pensées vont partout et ouvrent les murs de la chambre.

Paz Corona
Ulysse, c’est moi

«… oui et toutes les drôles de petites ruelles les maisons roses bleues jaunes et les roseraies les jasmins les géraniums les cactus et Gibraltar quand j’étais jeune une Fleur de la montagne oui quand j’ai mis la rose dans mes cheveux comme le faisaient les Andalouses ou devrais-je en mettre une rouge oui et comment il m’a embrassée sous le mur des Maures et j’ai pensé bon autant lui qu’un autre et puis j’ai demandé avec mes yeux qu’il me demande encore oui et puis il m’a demandé si je voulais oui de dire oui ma fleur de la montagne et d’abord je l’ai entouré de mes bras oui et je l’ai attiré tout contre moi comme ça il pouvait sentir tout mes seins mon odeur oui et son cœur battait comme un fou et oui j’ai dit oui je veux Oui. »
Ulysse, James Joyce

Olivier Mosset fit connaître Paz Corona en 2011 lorsqu’il l’invita à exposer à ses côtés à la Galerie des Filles du Calvaire. Paz Corona, alors psychanalyste, n’avait montré son travail de peintre qu’à des proches. Cette exposition mettait en relation de grands visages surgissant verticalement et de grands monochromes blancs et horizontaux. C’était là l’occasion d’un dialogue de peinture, mais peut-être aussi la révélation d’une écriture à plusieurs voix. Paz Corona me raconte que ces visages avaient alors été portés par un rêve: dans un songe nocturne, son propre visage lui était apparu. La peinture devenait pour elle le moyen de tenter d’attraper ce mirage.

Deux ans plus tard, Paz Corona revient seule sur les murs de la galerie, Joyce lui servant de fil d’Ariane, à la recherche d’une épiphanie amoureuse. Reconstitution d’une discussion avec l’artiste, lors d’une chaude journée d’été.

Ulysse et Molly Bloom
«Avec cette exposition, je veux peindre les pensées nocturnes d’une femme, comme Joyce le fait avec le monologue de Molly Bloom, à la fin d’Ulysse (Ulysse de James Joyce condense en une journée, à Dublin, le 16 juin 1904, l’intégralité des étapes du voyage d’Ulysse narré dans L’Odyssée d’Homère. Dans la dernière partie du livre, Léopold Bloom rentre chez lui, comme Ulysse revient à Ithaque pour y retrouver sa Pénélope. Il y retrouve Molly, sa femme). Ce qui m’intéresse c’est la situation narrative: un homme décrit l’état intérieur d’une femme. Il y a une incommunicabilité entre l’homme et la femme, une réunion toujours ratée, de même que la peinture est toujours une rencontre avortée. Cette exposition s’intitule «Ulysse, c’est moi», mais aurait très bien pu s’intituler «Molly Bloom, c’est moi». Je parodie le «Mme Bovary, c’est moi» de Flaubert, mais en même temps, j’ai bien conscience que moi ce sont aussi eux, elle et lui, l’homme et la femme, qui apparaissent dans la peinture. «Ulysse, c’est moi» renvoie aussi au fait que ce livre m’accompagne de puis mes quinze ans, qu’il n’a jamais cessé de me construire. Je repense à l’épisode avec le Cyclope demandant à Ulysse comment il s’appelle et à la déroutante réponse d’Ulysse: Personne.
Il ne s’agit pas pour lui de nier ce qu’il est, mais au contraire d’accepter qu’un sujet définitif n’existe pas. Il y a toujours une transformation du sujet possible: les éléments performatifs présents dans le langage et dans la peinture en témoignent constamment.

C’est pourquoi, en tant que peintre, je travaille rapidement et ne reviens pas sur mes gestes. Il y a un lâcher-prise et des jeux d’échos d’une toile à l’autre, entre différence et répétition. Par exemple, une femme dans son lit dans ces deux grands tableaux verticaux: elle nous regarde, elle est dans un lieu clôt, mais ses pensées vont partout et ouvrent les murs de la chambre. Le rose apparaît dans le drapé du lit. Le rose, ici, n’est pas utilisé comme une simple couleur, mais plutôt comme une tonalité signifiante, comme la couleur d’un état ou d’un sentiment. Le rose est à l’image de Molly qui recouvre quelque chose de son amour à la fin d’Ulysse.

Dans mes toiles, il y a des récurrences, comme le sourire, qui est une donnée fondamentale, car il cache toujours quelque chose, un phénomène de double lecture. Le sourire est un masque, un faux semblant.

La beauté est toujours un voile sur l’horreur. L’idée de mascarade me permet de dire: nous ne sommes pas forcément une seule chose. Dans un épisode d’Ulysse, Bloom se transforme en femme. Littéralement, il devient femme. L’exposition travaille autour du corps, autour de la jouissance féminine, qui n’est pas pour moi seulement la jouissance d’une femme.»

Propos recueillis par Léa Bismuth

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