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Tu vois

PLeïla Elyaakabi
@29 Juil 2011

Pierre Tilman expose à la galerie Métropolis ses œuvres de 1980 à 2010. Au carrefour de la poésie et des arts plastiques, ses textes prennent corps à travers divers médiums. La photographie, le dessin, le collage et la récupération donnent aux mots une dimension matérielle qui bouscule les acceptions.

Poète, romancier et plasticien, Pierre Tilman a fait partie du mouvement Fluxus, dont l’esprit imprègne l’exposition «Tu vois». Il en a gardé l’humour qui déborde les frontières entre les catégories artistiques établies. L’exposition confronte ainsi les arts visuels et l’écriture, l’esthétique sémantique de la poésie à celle, visuelle, des arts plastiques.

A travers différents médiums, la photographie, le collage, la récupération et le dessin, l’artiste donne de la visibilité à ses textes. Le titre de l’exposition en témoigne: il s’agit de la phrase «Tu vois» composée de jetons multicolores de jeux, qui soulignent d’emblée l’aspect ludique de l’Å“uvre: calligrammes, calembours ou montages photos sont pour Pierre Tilman autant de moyens de s’amuser avec le langage.

Partant du même principe, Bien faire et laisser rire… exploite le caractère ludique des jetons de scrabble et des alphabets pour enfants. L’assemblage de ces caractères en plastique forme des phrases multicolores. Collées sur de fines brindilles en bois, les phrases se succèdent, comme sur les lignes d’une page.
Dans cette suite d’expressions, la permutation des lettres R et D provoque des calembours autour des mots «Rire» et «Dire»: Dire à gorge déployée, Rien à rire… Le calembour permet une réflexion humoristique sur le sens de ces deux faits humains, antagonistes ou complémentaires, que sont le rire et la parole.

D’autres Å“uvres sont composées à partir d’assemblages de très fines brindilles en bois fixés au mur. Il s’agit de courts poèmes dactylographiés sur des bandelettes de papier découpées et collées sur les brindilles. Ces textes en prose trouvent une forme d’organisation dans la structure de papier et de bois. En effet, la disposition et le découpage des bandelettes en rythment la lecture. Les textes, plutôt minimalistes, se situent entre la poésie et la maxime, et acquièrent, grâce aux brindilles, une profondeur visuelle.

Dans la série Le Bout du roulot, l’Å“uvre plastique s’organise toujours autour du texte, mais cette fois à partir de l’objet-livre qui est transformé en Å“uvre d’art. Pierre Tilman en a collé et sculpté les pages pour créer un paysage en miniature où les reliefs sont faits de morceaux de textes, de mots, et où certaines syllabes surlignées. Ainsi se crée une forme de lecture subjective d’où sortent des éléments récurrents comme air, mer, port, vent, vide, etc.: un champ lexical qui oriente le lecteur. La figurine installée sur le paysage de papier pourrait être un personnage ou le lecteur, l’un et l’autre semblant se confondre avec l’artiste qui crée sa propre histoire.

Dans l’univers de Pierre Tilman, les mots ne sont pas réservés à l’écoute ou à la lecture: ils s’ouvrent à d’autres modes de perception comme le toucher, la vision des couleurs et des formes, voire le goût. Dans sa série de photo-montages, l’artiste se met en scène en train de manipuler des barres de texte en mimant les expressions inscrites sur chacune d’elles: dans L’Avaleur de mots, il fait ainsi mine d’avaler la barre. En simulant l’avalement des mots, l’artiste met en scène l’expression au sens propre, tandis que le texte appelle à l’interprétation figurée du lecteur. Les deux sens agissent alors simultanément à travers le texte et l’image.

A travers cette exposition, Pierre Tilman bouscule le caractère linéaire du texte en matérialisant les mots. Le visiteur participe à une forme de lecture humoristique et interactive où le mot sort de son cadre institutionnel figé par la grammaire et le dictionnaire. En se confondant avec l’objet matériel et son support, le mot se singularise, dans une vision pop des signes, celle de prendre à rebours et avec humour les contraintes artistiques et esthétiques.

Å’uvres
— Pierre Tilman, Sérigraphies, 2007, multiple
— Pierre Tilman, La Pagaille de vivre, 1996. Rubans dymon et lamelles de plexiglas
— Pierre Tilman, Les Fourmis, 2001. 7 panneaux, tirages numériques couleur
— Pierre Tilman, L’Avaleur de mots, 1981/2010. 8 photographies, tirage numérique
— Pierre Tilman, Le Bout du rouleau, 1992. Livre découpé, figurine en plastique
— Pierre Tilman, Petites Brindilles, 1998. Phrases de poèmes collées sur du bois
— Pierre Tilman, Poème tout attaché, 1998. Phrases et figurines, fils de couleur
— Pierre Tilman, Ils font de grosses conneries, 2011. Branchettes et brindilles, divers matériaux
— Pierre Tilman, Eclats de dire, Aussitôt ri aussitôt fait, Rien à rire, Avec le vent, Faire des choses avec les mots, Pour ainsi rire, Dire à gorge déployée, Mort de dire, Dire aux anges, Fou dire, Comme rit l’autre, Pour ainsi rire, Dire de tout, Dira bien qui dira le dernier, 2011. Baguettes, lettres collées
— Pierre Tilman, Laisser aller (passer, pisser), 2011. Branchettes et brindilles, divers matériaux
— Pierre Tilman, La vie est, 1980. Texte dymo sur plexi noir
— Pierre Tilman, Stratégie, 1995. Bande velpeau et encre rouge
— Pierre Tilman, Tu vois, 2006. 2 figurines et verre
— Pierre Tilman, A l’est rien de nouveau, 1985. Bois, peintures, figurines et divers
— Pierre Tilman, Méditation, 1985. Bois, peintures et divers
— Pierre Tilman, Lumière, 1990. Bois, peintures, figurines et divers
— Pierre Tilman, Bien faire et laisser rire, 2011. Baguettes, lettres collées

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