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Tu, Sempre

PAnne Hourtoule
@12 Jan 2008

L’art pour parler du sida, de la contamination, de la mort, mais aussi de la vie. Bouleversant : on voit les effets du sida sur des corps, on entend des témoignages précis, on lit des revendications sociales et politiques. On est interpellé, sans échappatoire.

L’espace EOF accueille Tu, Sempre : un propos de Yann Beauvais sur les modes de représentation du sida dans le monde. L’intérêt de l’expression artistique sur ce sujet est d’autoriser les croisements entre plusieurs champs d’action et de réflexion.
En effet, Yann Beauvais dénonce une crise à plusieurs facettes (médicale, économique et sociale), en insistant sur les informations chiffrées : le drame est une conversation muette, un chassé-croisé, entre l’immobilité de la recherche médicale, la dénonciation et la discrimination sociales, et le nombre grandissant de personnes qui vivent avec le sida.

L’exposition se déroule sur deux étages. La première pièce accueille un miroir rectangulaire pivotant sur lui-même sur lequel sont projetés des textes qui défilent à des rythmes différents. Le miroir renvoie et répand ces mots dans toute la salle. Nous sommes enveloppés par un texte qui parle du sida, ou plutôt qui dénonce le « travail du déni », autrement dit, l’organisation du refoulement et du silence autour du traitement de la maladie.
Yann Beauvais dresse ainsi une métaphore de la contamination. Le sida tourne tout autour du spectateur. Plutôt que de nous étourdir, ce tourbillon nous ramène à notre propre image, à notre reflet régulier dans ce miroir qui nous sollicite : c’est bien moi que je vois, moi pris dans ces phrases révoltantes et ces condamnations, ce problème est le mien, je suis contaminé, non par la maladie, mais par un désir de mobilisation.

Il s’agit alors d’un renversement de la nature de ce qui est transmis. Car dans cet espace, le virus du sida ne nous transmet pas l’horreur de la souffrance physique mais une autre forme d’horreur, économique, de laquelle dépend la première. La dimension corporelle et individuelle de la maladie n’est pas le centre de la pièce, elle en est le garrot : des photographies de personnes séropositives sont accrochées les unes à la suite des autres le long des quatre murs. Des baladeurs audio sont mis à la disposition du spectateur : description détaillée et chronologique de l’apparition des premiers symptômes et de l’évolution de la maladie et de son traitement.

Pas d’effet de style, un vocabulaire très simple qui vise à transcrire la réalité physique de la maladie, de son traitement ainsi que du mépris et du jugement moral réservés aux contaminés. La notion de contamination est intensifiée par le son (bruits samplés de la rue, de manifestations, de témoignages) qui se propage à travers l’espace; le deuxième étage contamine le premier.

Dans la deuxième salle, à l’étage supérieur, un accrochage analogue au précédent aligne des photographies de couples d’homosexuels et d’enfants avec leur(s) parent(s) contaminé(s). Ce sont des vivants qui sont montrés : la vie avec le sida au quotidien.
La pièce présentée est explicite. Intitulée Adultes et enfants vivant avec le sida (rapport fin 2002), elle se compose d’une carte en couleur sur papier posée au sol qui figure la situation du sida dans le monde. Sur chaque continent est inscrit le nombre de personnes contaminées.
Entre les photographie et la carte s’expriment les rapports entre l’échelle du privé et la dimension mondiale — économique et sociale — de la maladie.

Tu, Sempre nous plonge dans un univers bouleversant : on voit les effets du sida sur des corps, on entend des témoignages très précis, on lit des revendications sociales et politiques. On est sollicité, interpellé, sans échappatoire.

— Tu, Sempre, 2001. Diffusion multiple de vidéoprojections, bandes son, photos. Co-réalisé avec Thomas Köner. Production La Criée, CAC Rennes.

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