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TSAE (Trésors Submergés de l’Ancienne Egypte)

28 Juin - 13 Sep 2015
Vernissage le 27 Juin 2015

À travers de multiples références qui vont de la philosophie au minimalisme américain, Francisco Tropa construit un monde autonome qui se déploie telle une architecture en perpétuelle expansion. En clôture du cycle TSAE (Trésors Submergés de l’Ancienne Egypte), il présente ici une sous-section qui permet de reconsidérer l’ensemble du projet.

Francisco Tropa
TSAE (Trésors Submergés de l’Ancienne Egypte)

Instruments archaïques de mesure du temps, représentations médiévales du cosmos, géants de bronze, composition en trompe-l’œil: on a le sentiment face au travail de Francisco Tropa d’assister à la création d’un monde autonome, à l’élaboration d’une mythologie originelle et personnelle dont on reconnaît confusément qu’elle évoque de multiples représentations du monde, qui vont de la Grèce antique aux idéaux modernistes.

L’intérêt de Francisco Tropa pour ces modèles classiques est tout autant philosophique qu’esthétique. Philosophique car ces systèmes posent la question de l’imbrication de la vérité et de la fiction dans nos représentations, et de la façon dont, depuis la nuit des temps, l’homme tord les vérités scientifiques au profit d’un récit collectif, qu’il soit politique ou religieux. Esthétique car ces représentations souvent abstraites du monde sont un terreau inépuisable pour l’artiste, qui lui permettent toutes les audaces formelles, dans un rapport jubilatoire à la matière et aux différents états de sa transformation.

TSAE (Trésors Submergés de l’Ancienne Égypte) font écho à toutes ces préoccupations. Inaugurée lors d’une exposition à La Verrière à Bruxelles et augmentée pour le Mrac d’un mystérieux Ministère des affaires étrangères, «TSAE» est une expédition archéologique fictive dont le titre évoque spontanément une exposition qui ferait se déplacer les foules en quête de sarcophages et autres momies. Le titre projette ainsi l’imaginaire du spectateur vers un exotisme dont il semble maîtriser les codes, pour ensuite le désarçonner face à des productions à la beauté et à la magie formelles indéniables mais qui résistent à l’entendement, laissant ouvert le champ des interprétations.
À La Verrière à Bruxelles, l’exposition présentait en autant de «chambres» énigmatiques (Partie Submergée, Chambre violée, Terra Platònica) les vestiges de ce qui a été trouvé par l’équipe de scientifiques, un ensemble d’objets dont l’usage nous paraissait parfaitement inconnu. Au Mrac est présenté Le Ministère des affaires étrangères, une sous-section qui clôt le cycle TSAE, sa partie secrète qui ressort mystérieusement au grand jour et qui nous permet de reconsidérer l’ensemble du projet comme un mécanisme construit pour abolir les frontières spatiales et temporelles et dont l’exposition nous dévoilerait le fonctionnement.

À l’instar de sa première version à Bruxelles, l’exposition est compartimentée en plusieurs chapitres. Au centre de ce dispositif, Le songe de Scipion présente, flottant dans l’espace, un cube et deux sphères qui gravitent les unes en relation avec les autres. Le titre fait explicitement référence à une allégorie présente dans l’ouvrage De Republica de Cicéron dans lequel l’organisation cosmique du monde est révélée par le rêve.

Au sol sur un tapis de jeu se déploie un paysage, composé d’éléments naturels et de leur exacte réplique en bronze. Comme toutes les pièces de l’artiste établissant un rapport avec la nature morte, ce paysage s’intitule Scripta, qui étymologiquement signifie une tache sans profondeur ni relief et qui est à l’origine du mot écrire mais également à l’origine du dé et donc des jeux de hasard. Si on retrouve ici les liens forts qui unissent la pratique de Francisco Tropa à l’œuvre de Marcel Duchamp, cette récurrence du jeu permet à l’artiste de poursuivre sa réflexion sur la sculpture, perçue comme un champ des possibles illimité, qui touche tout à la fois au matériau et à ses multiples altérations mais également à son dialogue avec la performance, comme le suggère la pièce Quad à l’entrée de l’exposition.

De part et d’autre de ces éléments centraux, une série de sculptures forme Les Antipodes et signe la fascination de l’artiste pour des éléments a priori diamétralement opposés mais unis par quelques relations secrètes, que cette opposition s’opère par un changement de matériau ou de manière plus métaphorique par un changement d’état ou de regard. Cette logique est contrecarrée par la présence de L’influence américaine, cube minimaliste dans lequel est insérée une télé qui projette un film ethnographique des années 1960 où l’on découvre un chef indien qui construit une boîte avec une ingéniosité remarquable. Le geste minimaliste, signe d’un occident sûr de sa puissance, est ici mis à mal avec ironie par l’artiste, les figures de l’ancien monde traversant celles du nouveau monde pour en intervertir la logique chronologique.

Enfin, deux gouttes en verre semblent tout droit sorties d’une caverne, l’image de cette grotte étant obtenue par la lumière qui passe par des lames d’agate installées dans le projecteur. Ces deux «puits», l’un en négatif, l’autre en positif, l’un comme un trou qui perfore le sol, l’autre comme une montagne qui s’érige, sont une évocation de l’enfer et du purgatoire tel que décrit par Dante dans La Divine Comédie mais ne sont pas sans nous rappeler une conception psychanalytique plus moderne sur le fonctionnement de la psyché, du conscient à l’inconscient.

À travers ces multiples références qui vont de la caverne de Platon au minimalisme américain, c’est bel et bien à la construction d’un monde autonome et fascinant auquel nous convie Francisco Tropa, un monde à la sauvage beauté qui se déploie telle une architecture en perpétuelle expansion. Il est fort à parier d’ailleurs que ces systèmes de représentation répondent en bien des points à la conception que Francisco Tropa se fait de l’art: un moment de suspension de la question de la vérité au profit d’un récit proliférant et digressif, qui permet l’émergence d’un monde tout à la fois singulier, fantaisiste et néanmoins crédible.

Commissariat

Sandra Patron

Vernissage
Samedi 27 juin 2015 à 18h30

critique

TSAE (Trésors Submergés de l’Ancienne Egypte)

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