PHOTO | CRITIQUE

Trompe-l’oeil

PRoland Cognet
@12 Jan 2008

Sans systématisme et avec beaucoup de finesse, les photographies de la série Trompe-l’œil de Rémy Lidereau font basculer le réel dans la fiction et mettent le spectateur mal à l’aise.

La galerie Paul Frèches convie régulièrement le public à des rencontres avec l’artiste exposé et des intervenants offrant des regards personnels sur les œuvres. Lors de la dernière, tous étaient d’accord : les photographies de la série Trompe-l’œil de Rémy Lidereau ne prennent tout leur intérêt que si on les regarde longtemps.
Un visiteur un peu pressé pourrait quitter la galerie déçu, pensant n’avoir vu qu’un jeune artiste de plus donnant dans la veine de l’école de Düsseldorf. Bien au contraire, Rémy Lidereau subvertie les notions de série, de typologie et de neutralité et parvient à créer un sentiment d’étrangeté.

La série Trompe-l’œil comprend quinze images. Sept sont présentées. Ce sont toutes des vues en extérieurs, mais elles sont trop différentes les unes des autres pour que leur appartenance à une même série soit évidente. C’est que la série Trompe-l’œil incorpore des travaux de diverses provenances réalisés entre 2003 et 2006 : des travaux d’étude et des œuvres faites spécifiquement pour cette série qui ne trouvera d’ailleurs son titre que très récemment.
En dépit du titre de la série, des titres très référencés des œuvres et de la photographie Puteaux, France, mars 2004 qui comprend une peinture murale en manière de trompe-l’œil, Rémy Lidereau ne présente pas une typologie documentaire du trompe-l’œil dans l’espace public contemporain. Il s’intéresse au contraire à des lieux, très souvent banals, qui, vus d’une certaine manière, basculent dans la fiction. Cette dernière réside ainsi plus dans le regard du photographe que dans l’incongruité du motif.

Plusieurs procédés de déréalisation permettent à l’artiste de révéler le potentiel fictionnel d’un lieu. Le premier est la suppression des repères spatio-temporels. Les ombres sont rares car elles introduisent une durée et creusent l’espace. Les lieux sont vides. Aucun personnage n’est là pour donner l’échelle. On ne sait jamais si on est face à un paysage réel ou face à une reproduction à échelle réduite. A cet égard, la photographie Versailles, France, mai 2003 est particulièrement troublante. Elle est issue d’un travail d’étude consacré au parc à thème «France miniature», attraction touristique qui invite à découvrir en extérieur des réductions de grands monuments français.
La photographie de Rémy Lidereau évacue ce contexte et laisse le regardeur se perdre entre les reconstitutions en miniature et la végétation à taille réelle. Parfois, comme dans Lathi, Finlande, avril 2003, c’est le point de vue très éloigné qui transforme en modèle réduit la structure monumentale d’un tremplin de saut à ski.
Cet intérêt pour la maquette rapproche Rémy Lidereau de Thomas Demand. Mais leurs démarches sont diamétralement opposées. Rémy Lidereau ne recourt en effet jamais à la mise en scène. Soit, il trouve des maquettes dans le réel, soit il les construit par la prise de vue.

L’accrochage dans la galerie amplifie cette perte de repères. Les photographies créent le trouble d’un mur à l’autre. Ainsi Versailles, France, mai 2003 et La-Celle-Saint-Cloud, France, mai 2006, qui présentent des voies ferrées aux échelles différentes, se font intelligemment face. Ailleurs, c’est la variation des dimensions des tirages qui suscite le doute.

La lumière et la couleur participent aussi à cette déréalisation du réel. C’est ici qu’interviennent les rares manipulations numériques auxquelles l’artiste recourt. Rémy Lidereau optimise les couleurs et réduit les nuances. Au point que, dans Puteaux, France, avril 2004, la blancheur de la lumière, caractéristique de son travail, aboutit au mélange des plans en fusionnant une façade d’immeuble et le ciel. Dans Bâle, Suisse, novembre 2003, c’est le rougeoiement de l’architecture qui nous fait basculer dans l’irréel.

Il est pourtant moins intéressant de chercher à résoudre des énigmes en découvrant ce qui, dans chaque image, crée la fiction, que de se laisser envahir par ce sentiment d’étrangeté. Très souvent invoquée, la notion freudienne d’«inquiétante étrangeté» semble ici pertinente. Elle est définie par Freud comme «cette sorte de l’effrayant qui se rapporte aux choses depuis longtemps connues et de tout temps familières».
De fait, les photographies de Rémy Lidereau de lieux plutôt anodins et familiers parviennent à nous mettre mal à l’aise. Irréels, ces lieux deviennent presque hostiles. Ainsi, les deux bancs au premier plan de Puteaux, France, novembre 2003 ne donnent aucune envie de venir s’y installer.
Cette gêne n’est pas sans ressemblance avec celle suscitée par les vues urbaines de la période «métaphysique» de Giorgio De Chirico. Ce qui n’est pas étonnant, puisqu’il fut l’un des premiers, sur un mode mélancolique cette fois, à jouer sur l’espace et les échelles pour susciter le trouble.

Rémy Lidereau
— Lathi, Finlande, avril 2003, de la série Trompe-l’œil, 2003.
Tirage Lambda. 76×91 cm.
— Versailles, France, mai 2003, de la série Trompe-l’œil, 2003.
Tirage Lambda. 101×120.6 cm.
— Bâle, Suisse, novembre 2003, de la série Trompe-l’œil, 2003.
Tirage Lambda. 76×91 cm.
— Puteaux, France, novembre 2003, de la série Trompe-l’œil, 2003.
Tirage Lambda. 126×150 cm.
— Puteaux, France, mars 2004, de la série Trompe-l’œil, 2004.
Tirage Lambda. 126×150 cm.
— Puteaux, France, avril 2004, de la série Trompe-l’œil, 2004.
Tirage Lambda. 126×150 cm.
— La-Celle-Saint-Cloud, France, mai 2006, de la série Trompe-l’œil, 2006.
Tirage Lambda. 101×120.6 cm.

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