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Trois photographes: Collins, Hajamadi, Moffatt

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@12 Jan 2008

Trois femmes du même âge, trois photographes éprises de manipulations techniques en tout genre, mais surtout trois artistes-femmes en exil. C’est sans doute cela, plus que d’éventuels liens formels, qui semble unir leurs travaux photographiques.

Trois femmes du même âge, trois photographes éprises de manipulations techniques en tout genre, c’est ce qui de prime abord pourrait justifier le choix de la galerie Laage-Salomon pour cette mise en parallèle. Mais le sous-titre de l’exposition aurait tout aussi bien pu être « Artistes-femmes en exil », car c’est sans doute cette communauté d’âme, plus que d’éventuels liens formels, qui semble unir les travaux photographiques de l’Anglaise Hannah Collins, de l’Iranienne Fariba Hajamadi et de l’Australienne Tracey Moffatt.

Hannah Collins restitue en noir et blanc l’étrange rapport qu’elle entretient avec les lieux « hors-temps » comme les déserts ou, récemment, les paysages urbains orientaux. Elle regarde ces lieux oubliés mais néanmoins chargés d’histoire(s) dont elle capte l’image pour la mémoire, non pas comme souvenir, mais, dit-elle, comme conscience. Sa formation de peintre, elle l’assume complètement en déclinant photographiquement les catégories de la peinture classique figurative : paysage, figure, nature morte. Par extension, son travail interroge les pratiques artistiques en général. La photographie Salt représentant un tas de sel est à ranger du côté de ses « natures mortes », mais pourrait tout autant être une vue de sculpture de l’Arte povera, par exemple. On est d’ailleurs perplexe devant ce monticule informe, conscients d’être devant une photographie « figurative », mais incapables de distinguer, voire de nommer, ce que nous voyons. L’on pourrait dire la même chose d’une photographie comme Hair Shawl où la présence d’une chevelure vue de dos devrait nous convaincre d’être en présence d’un personnage, mais que le cadrage tout comme les détails ornementaux transforment en nature morte, en l’occurrence en un châle qui n’a pas grand chose d’humain.

Rien de la vacuité du travail d’Hannah Collins n’apparaît dans les photographies-peintures de Fariba Hajamadi, tout au contraire. L’artiste iranienne collecte des images insolites glanées au cours de ses voyages : églises, châteaux, musées, ou encore situations drolatiques qu’elle assemble ensuite par manipulation numérique. Les confrontations sont souvent spectaculaires, les univers baroques et, là encore, le spectateur y perd un peu son latin. On croit savoir que l’on est devant de la photographie, pourtant tout n’est que picturalité dans ce travail. Cette sensation est provoquée par la technique employée, qui consiste en un mélange d’images numériques projetées sur émulsion photographique, agrémentées de repeints à l’huile, le tout sur toile. Les rencontres insolites entre des objets et des lieux que rien ne saurait rapprocher composent un univers proche du collage surréaliste, de sa plastique mais aussi de son regard critique. Parler du travail de Fariba Hajamadi, c’est évoquer autant le collage et la peinture que la photographie.

« Photographie-cinématographique », faudrait-il alors dire du travail de Tracey Moffatt chez qui la mise en scène est primordiale. Ses fictions photographiques ou cinématographiques évoquent souvent les conflits sociaux et raciaux au sein d’une communauté ou d’une famille. Son film en 35 mm Night Cries: A Rural Tragedy (1989) où elle explore les relations d’amour et de haine entre une Australienne et son fils à moitié aborigène en est un exemple assez significatif. Travaillant par séries, et quelquefois en collaboration avec le vidéaste Gary Hillberg, elle puise beaucoup dans l’imagerie télévisuelle et se met parfois en scène dans ses fictions narratives. Les images exposées à la galerie Laage-Salomon sont des photogravures virées de couleur sépia. De loin, on pourrait croire à d’anciennes icônes de l’époque coloniale: intérieur bourgeois, serviteurs de couleur. Mais on a tôt fait de réviser ce jugement lorsqu’on s’aperçoit que les visages des protagonistes tout comme le miroir qui pourrait les refléter ont été brouillés dans un geste numérique tourbillonnaire. Il y a toujours chez Tracey Moffatt, malgré la très grande diversité plastique des images qu’elle fabrique, une ambiance de perte, perte d’un lieu, d’une époque, ou d’une identité.

Aussi pourrait-on imaginer que ce qui scelle le travail de ces trois photographes, c’est la façon dont il piège le regard par des ruses optiques troublantes, certes différentes dans chaque cas, mais toujours chargées d’une torve atmosphère.

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