ART | CRITIQUE

Tout est possible

PAnna Guilló
@01 Mai 2002

Entre deux vidéos qu’apparemment tout sépare, on ne finit pas de rentrer dans l’univers très personnel de Laurent Grasso, comme si l’artiste tenait à garder ses distances. Le titre de l’exposition, lui-même, ne dit rien si ce n’est que nous sommes libres d’interpréter le travail à notre guise...

On rentre dans la galerie Chez Valentin comme on rentrerait dans un cinéma alors que la séance est déjà commencée. Plongés dans le noir, il nous faut traverser tout l’espace vide de la galerie pour atteindre, au fond, l’un des deux vidéos proposées par Laurent Grasso. Un homme déambule dans des rues, une caméra le suit, le chevauche, l’investit de façon à ce que le point de vue soit toujours troublé : on voit une nuque, le dessous d’un menton et le ciel scandé de quelques vagues palmiers… la bande son, difficilement intelligible, ronronne en une voix d’homme parlant français avec un accent. Monologue introverti, on croit distinguer quelques considérations sur l’amour, mais ce son de cloche, au fond, rappelle davantage le glas qu’une sortie de mariage. Ébranlé par le constant décadrage, le regard se perd dans cette déambulation sans horizon et on se prend à rentrer dans la peau de l’individu pour éviter une nausée imminente. Les mots sont aussi vagabonds que l’image, on entend maintenant parler des Musulmans et des Chrétiens… sombrer dans cette folie douce ou tourner la page ?

Tourner la page, c’et tourner l’angle de la deuxième salle et tomber nez à nez avec la seconde vidéo de ce dispositif. Un homme noir sur une plage boxe avec la caméra, donc avec le spectateur, le faisant brutalement sortir de la torpeur dans laquelle le soliloque précédent l’avait plongé. Un bon coup de poing dans la figure et voilà que nous redécouvrons l’horizon et la nature, si seulement il n’y avait pas ce type, là, qui de tout évidence nous veut du mal et que nous devons esquiver par tous les moyens.

La véritable intelligence de ce dispositif vidéo tient dans sa présentation remarquablement adaptée à l’espace difficile de la galerie Chez Valentin. La première vidéo nécessite un temps de marche, perspective et prospective, avant l’immersion totale dans la démarche du personnage. En revanche la deuxième vidéo, projetée sur un écran placé à un mètre du spectateur, exclut automatiquement ce dernier du champ d’action, en le repoussant dangereusement vers l’abîme des escaliers juste derrière lui. Mais malgré la pénombre et ce va-et-vient entre deux vidéos qu’apparemment tout sépare, on ne finit pas de rentrer dans l’univers très personnel du talentueux Laurent Grasso, comme si l’artiste, à travers une parole qui se payerait le luxe de ne rien signifier, et un match de boxe sans gagnant ni vainqueur, tenait à garder ses distances. Et jusqu’au titre de cette exposition qui ne nous dit rien si ce n’est que nous sommes libres d’interpréter tout cela à notre guise ; mais parfois tout n’est pas possible.

Laurent Grasso
— Tout est possible, deux vidéos projetées en boucle, 2002.

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