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Torta Morbida

PMagali Lesauvage
@12 Jan 2008

En référence au «divin marquis», l’artiste espagnol Pablo Alonso présente chez Suzanne Tarasiève une série de toiles sur le thème éminemment pictural de ce qui peut être vu et montré par le peintre-révélateur.

L’exposition de Pablo Alonso est intitulée Torta Morbida, ce que l’on pourrait traduire de l’italien par «Galette molle». Mais ce titre fait aussi allusion à la «morbidité» de l’iconographie usée ici. Maladif et malsain sont en effet des adjectifs fréquemment employés pour qualifier l’œuvre du marquis de Sade.

Dans la série des dix Salonbild (2007) visible ici, Alonso a reproduit à l’aérographe, sur des toiles de deux mètres de hauteur, des gravures du XVIIIe siècle, où le mélange d’érotisme et de torture physique fait explicitement référence à l’univers sadien.
Hommes, femmes et enfants mêlés subissent et font subir dans un cadre rococo des sévices sexuels nés dans l’imagination de l’écrivain. Pourtant, ces scènes ne sont pas visibles au premier coup d’œil, et leur contenu n’est révélé au spectateur qu’au-delà de jets et coulures d’une peinture blanchâtre.
Ces couches transparentes, qui vont en s’épaississant au fur et à mesure de la série, mettent l’image à distance, tout en en désignant, comme un voile dissimulant une alcôve, l’objet du désir. Sous le dripping de l’artiste, le spectateur peut imaginer, en écho aux mots du marquis de Sade, une réalité qui va bien au-delà de l’image même, plus terrible encore.

Pablo Alonso fait référence au XVIIIe siècle dans une autre série, consacrée à George Washington, homme des Lumières par excellence, tout comme Sade. L’un fut le premier président des Etats-Unis et jouit aujourd’hui encore d’une gloire immense, l’autre passa quarante années de sa vie en prison, et fut banni d’une société dont il condamnait implicitement l’hypocrisie.
Pourtant les deux personnages se rejoignent en ce sens qu’ils sont l’image même de l’homme libre et visionnaire: dans Freemason Whiskey (2007), Alonso appose sur le front du grand homme un troisième œil maçonnique, celui de la vision par-delà le monde tangible.
La religion, associée dès ses origines à l’identité américaine, est aussi présente dans In Tod We grust, perversion de la devise «In God We trust» portée sur les billets américains à l’effigie de Washington: le mot allemand Tod, désignant la mort, vient remplacer celui désignant Dieu, et corrompre ainsi le message religieux.
Comme chez Sade, les valeurs sont inversées. Alonso nous montre ainsi, par la peinture, une réalité au-delà du visible, transformée, pervertie, insaisissable.

Pablo Alonso
— Salonbild, 2007. Série. Acrylique sur toile. 200 x 140 cm.
— Freemason Whiskey, 2007. Acrylique sur toile. 100 x 70 cm.
— Fairfax, 2007. Acrylique sur toile. 100 x 70 cm.
— In Tod We Grust, 2007. Acrylique sur toile. 100 x 70 cm.

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