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To Delphi

PVincent Gonzalvez
@12 Jan 2008

Dans nos sociétés urbaines où le sens semble disparaître, Rut Blees Luxemburg nous amène à regarder à nouveau, à poser un regard neuf sur ce que nous ne voyons plus. C’est à une déambulation poétique et pleine de finesse au sein de nos villes qu’appellent ses photos.

L’exposition s’intitule « To Delphi », référence au site archéologique grec de Delphes, sanctuaire panhellénique où toute la Grèce affluait afin de recueillir les oracles de la Pythie, lien entre les hommes et Apollon. Lieu de la parole et du décryptage des signes, Delphes était l’endroit de la recherche d’un sens et d’une direction à suivre pour des hommes soumis aux dieux, une « technique adjuvante de décision » pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Vernant. Lieu de l’ambiguïté également, les oracles n’étant jamais précis et nécessitant toujours une interprétation humaine.

À partir de ce titre, le propos de Rut Blees Luxemburg est le suivant : aujourd’hui encore, il y a des signes autour de nous qui peuvent nous fournir du sens si nous prenons le temps de les voir et de les interpréter. Un signe est une chose perçue qui permet d’affirmer, avec plus ou moins de certitude, l’existence ou la vérité d’une autre chose, à laquelle elle est généralement liée.
Comme des oracles dans nos villes, susceptibles de nous faire réfléchir sur la direction de notre époque et de nous permettre aussi de nous évader et de rêver.

L’agencement de l’exposition reprend l’idée de sanctuaire. En effet, deux gardiens (The Sleepers, 2004) encadrent les signes que l’on peut percevoir dans nos sociétés, ils veillent sur ces éléments qui ne demandent qu’à prendre sens. Une colonne qui émerge d’un chantier, une tache de peinture sur la porte d’un garage, du crottin de cheval, des craquelures. Ces indices qui nous entourent, auxquels nous ne faisons plus attention, peuvent pourtant fonctionner comme des éléments signifiants et nous amener à une vérité, à un nouveau regard sur les choses.

Ainsi, d’une tache de peinture peut surgir la conception de Persée (Conception of Perseus, 2003), du crottin sur du sable et des traces de pas peut émerger une métaphore du rapport homme/nature dans nos villes (Science-Fiction, 2003), d’un pilier peut surgir un symbole d’un sens oublié, une excavation du passé (Speak : Stone, 2004). L’homme est à la fois absent de ces photos et omniprésent car c’est lui qui peut donner du sens à ces signes et en recevoir une aide dans le cadre d’une recherche de repères et d’évasion.

Cette entreprise de dévoilement dans un quotidien devenu invisible est appuyée par une technique précise. Le choix de la nuit et de l’éclairage naturel des néons, des réverbères, des temps de pose très longs, des formats de photos adaptés à chacune, tout cela fait la force et l’évidence de ces travaux. Par exemple, les couleurs de Speak : Stone avec ces lueurs violettes, le jaune du sable de Science-Fiction. Tout cela donne cette atmosphère irréelle et intemporelle aux photos, leur fournit un caractère d’évidence. De plus, l’absence de localisation précise augmente le caractère général de ces oeuvres.

Dans nos sociétés urbaines où le sens semble disparaître, Rut Blees Luxemburg nous amène à regarder à nouveau, à poser un regard neuf sur ce que nous ne voyons plus. C’est à une déambulation poétique et pleine de finesse au sein de nos villes qu’appellent ces photos. Exposition présentée dans le cadre du Mois de la Photo à Paris

Rut Blees Luxemburg :
— Speak : Stone, 2004. C-print sur aluminium. 170 x 140 cm.
— Working Title : Crack, 2004. C-print sur aluminium. Dimensions variables.
— Conception of Perseus, 2003. C-print sur aluminium. 100 x 165 cm.
— Science-Fiction, 2003. C-print sur aluminium. 70 x 95 cm.
— The Sleepers I, 2004. C-print sur aluminium. 120 x 216 cm.
— The Sleepers II, 2004. C-print sur aluminium. 120 x 216 cm.
— Immobilière, 2003. C-print sur aluminium. 90 x 115 cm.
— Monument, 2003. C-print sur aluminium. 90 x 115 cm.

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