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Timesharing

PStéphanie Katz
@12 Jan 2008

Une exposition collective ouvre le nouvel espace de Jocelyn Wolff. Mais aucune famille ne se dégage, ni dans les styles, ni dans les projets, ni dans l’activité. Les œuvres traduisent seulement une même insistance sur la solitude d’une pratique, sur la construction personnelle d’un rapport au monde et à la mémoire. Une communauté de posture, donc, plus que de facture.

Il faut le noter, car cela est très certainement significatif de la vie artistique parisienne: la galerie Jocelyn Wolff a passé avec succès l’épreuve du feu des deux premières années de la vie d’une galerie. Aujourd’hui, fort d’un public fidélisé, le site s’agrandit, et surtout il se désenclave des petites ruelles de l’arrière de Belleville, pour s’installer de façon plus visible au bord de la rue active. Maintenant, on peut le dire, Jocelyn Wolff a pignon sur rue !

Cette évolution favorable interroge nécessairement les observateurs attentifs. Et si nous posons la question, nous laisserons à chacun la formulation de sa réponse: quel est, diable, le secret de Jocelyn Wolff pour être parvenu à se construire sur un terrain parisien dévasté, et pour avoir réussi à faire venir à lui un public exigeant? Une ébauche de réponse se dissimule peut-être dans l’option que révèle cette présentation collective de peintres, qui inaugure le nouveau lieu.

Une présentation qui se caractérise par son ouverture tant thématique que stylistique ou géographique, et qui marque résolument le pas sur la masse des propositions artistiques du moment impliquées dans un présent immédiat. Jocelyn Wolff a su ainsi prendre acte de la menace qui pèse sur toute œuvre relevant de la «critique intégrée», telle qu’elle est stigmatisée par Guy Debord.

En effet, tous les artistes présents dans cet accrochage revendiquent une certaine suspension au-dessus des interrogations de l’époque, sans pour autant ignorer des héritages plus lointains.
Depuis les évocations d’une folie originaire dans les visages moyenâgeux de Grégory Forstner, jusqu’au traitement spectral des corps par Miriam Cahn, en passant par les taches réifiées d’Alun Williams, aucun de ces artistes n’en appelle aux problématiques contemporaines de la création visuelle, très souvent centrée sur les implications des technologies innovantes du visible, les manipulations médiatiques par l’image, ou la sollicitation ininterrompue de la vue dans la culture populaire du quotidien.
Autant de questions qui agitent une certaine création contemporaine sensible aux effets de mode, à l’émergence d’une «basse culture» visuelle consensuelle et à des dispositifs néo-pops.

La sélection de la galerie prend ses distances avec cette obsession de l’articulation de l’art à son contexte, en revendiquant une «a-temporalité qui se distingue du classique anachronisme». Ni «air du temps», ni «art pour l’art» donc, Jocelyn Wolff invite le spectateur à ouvrir le champ de ses interrogations visuelles en direction de propositions singulières, atypiques et autonomes.

À travers le filtre de l’effet de surprise que peut provoquer cet accrochage décontextualisé, c’est toute la question de la mission que l’on assigne à la création contemporaine qui se pose. Que demande-t-on, en effet, aux œuvres d’aujourd’hui?
Sont-elles là pour favoriser un regard de myope penché sur les micromutations de notre réalité de pays développé?
Doivent-elles nous forcer à lever le nez pour ouvrir le champ de nos regards au-delà des messages trop contextualisés?
Doivent-elles nous permettre d’entrer en résonance avec un monde singulier, ses cauchemars, sa mémoire, ses interrogations spécifiques, et ses solutions plastiques?
Doivent-elles être impliquées, intemporelles, solitaires?
Chacun répondra pour soi à ces questions qui déterminent notre relation aux œuvres de nos contemporains. Et Jocelyn Wolff semble nous livrer ici son axe de prospection.

Personnellement, je préférerais ne pas avoir à trancher et poser la question autrement. Je ne suis pas certaine, en effet, que la pertinence et la persistance d’une posture artistique tienne dans son ancrage plus ou moins vif dans le vocabulaire esthétique et critique du contexte qui lui a donné naissance. Je ne pense pas, surtout, que l’identification de l’œuvre puisse si facilement se déterminer du seul point de vue du contenu de l’œuvre. Ce serait plutôt la question du spectateur, infiniment plus opératoire, qui permettrait de décrypter, à travers les siècles, la mission que l’artiste assigne à son travail.

Et à chacun de s’interroger: que me veut cette œuvre? Dans quelle posture me place-elle? M’accorde-t-elle une mobilité, une liberté de lecture, où m’impose-t-elle sa loi? C’est toute la question de l’embarras, de l’incertitude, de l’instabilité, que l’œuvre est capable d’agir chez le spectateur qui devient alors l’instrument de mesure, au-delà de tous les effets de mode.

En posant ainsi la question, on repérera facilement que l’art ne se cache pas toujours là où on l’attend: qu’il s’agisse de propositions très marquées par l’esthétique consensuelle de leur époque, de travaux volontairement suspendus au-dessus des codes communs, affirmant une autonomie plastique ou des héritages repérables, la question de l’œuvre n’est pas dans le choix de la facture, mais dans la posture.

L’accrochage de Jocelyn Wolf confirme encore sa volonté de se désolidariser de toutes perspectives collectives et synthétiques par la disparité des origines géographiques, des formations et des lieux d’activités des artistes qu’il présente. Myriam Cahn vit et travaille à Bâle, Grégory Forstner est basé à Nice, Djordje Ozbolt est londonien, alors qu’Alun Williams travaille à Brooklyn.

Aucune famille ne se dessine ici, ni dans les styles, ni dans les projets, ni dans l’activité. Seule cette insistance sur la solitude d’une pratique, sur la singularité du dialogue entretenu par l’artiste avec ses héritages spécifiques et choisis, sur la construction personnelle d’un rapport au monde et à la mémoire, permet de dégager une communauté. Communauté de posture, donc, plus que de facture.

Alun Williams
— Edgar Poe in Central Park (1844),, 2006. Huile, acrylique et latex sur toile. 122 x 91.5 cm.
— Edgar Poe in a Field in Pennsylvania (1838), 2006. Huile, acrylique et latex sur toile. 45 x 35,5 cm.
— Edgar Poe in Midtown (2006),, 2006. Huile, acrylique et latex sur toile de jute. 106.5 x 66.5 cm.

Miriam Cahn
— Fremdkörpergefühl, 2003. Huile sur toile. 140 x 180 cm.
— Affentochter, 2003. Installation: impression sur papier, huile sur toile, photographie, fusain sur papier, huile sur bois. 155 X 31 cm.

Grégory Forstner
— Pierrot, 2003. Huile sur toile. 35 x 27 cm.
— Fou à la marotte, 2004. Huile sur toile. 162 x 130 cm.
— Lachender Narr Zeigt auf sein Narrenzepter II, 2005. Huile sur toile. 240 x 160 cm.

Djordje Ozbolt
— Bubble Soup, 2005. Acrylique sur bois. 50cm x 40cm.
— The Wrong Painting, 2005. Acrylique sur toile. 40.5cm x 30.5cm.

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