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Times are hard, but Postmodern

18 Jan - 01 Mar 2014
Vernissage le 17 Jan 2014

Isa Melsheimer intègre ses œuvres par une mise en scène mesurée et économe. Les dialogues subtils, parfois ludiques, qu’elle engage avec l’espace, reflètent le thème autour duquel elle a travaillé son installation: quasiment aucun autre style architectural n’est aussi résolument empreint de dialogues que le postmodernisme.

Isa Melsheimer
Times are hard, but Postmodern

Pour l’exposition «Times are hard, but Postmodern», Isa Melsheimer intègre ses œuvres par une mise en scène mesurée et économe. Les dialogues subtils, parfois ludiques, qu’Isa Melsheimer engage avec l’espace de la galerie, reflètent le thème autour duquel elle a travaillé son installation: quasiment aucun autre style architectural n’est aussi résolument empreint de dialogues que le postmodernisme.

Des formes élémentaires comme les cônes, les sphères, les pyramides ou les cubes, des nuances de couleur acidulées, des surfaces composées de lamelles et de compositions graphiques: l’univers des formes et des couleurs de l’œuvre d’Isa Melsheimer évoque des associations avec l’anti design radical du Groupe Memphis, qui prônait l’abandon du style international moderniste pour se tourner vers le design émotionnel postmoderne.

Avec un collage mural, Isa Melsheimer cite l’architecte Charles Jencks qui date précisément la fin symbolique de l’architecture moderne et la transition vers le postmodernisme au 15 juillet 1972, 15h32 avec le dynamitage du complexe d’habitation Pruitt-Igoe à St. Louis dans le Missouri. Ce complexe d’habitation sociale conçu par Minoru Yamasaki selon les préceptes de Le Corbusier avait été célébré en 1955 comme visionnaire et porteur d’avenir. Après s’être rapidement enfoncée dans la violence et le vandalisme, cette cité est encore considérée encore aujourd’hui comme le symbole de l’échec de l’architecture et de l’urbanisme modernes.

Dans ses œuvres, Isa Melsheimer fait ressentir les espoirs liés à cette évolution urbaine et architecturale. Elle s’intéresse plus particulièrement à l’architecture à Rome, ville qui s’est développée au long de l’histoire. Contrairement aux grandes visions de l’urbanisme d’un Le Corbusier pour Paris, qui prévoyait une large destruction du centre historique, Rome correspond à ce que l’architecte Colin Rowe définit comme «collage-city»: un processus perpétuel de fragmentation, de collision et de contamination avec les idées disparates de générations différentes.

Mais quand Isa Melsheimer se réfère dans ce sens à des plans d’urbanisme idéels, issus de groupes d’architectes comme UFO, Superstudio et leur critique d’une mégastructure The Continous Monument ou Archizoom Associati avec leur modèle d’une No-stop City, elle engage également une réflexion sur une pensée glorifiant la technicité.

Sur un objet en tissu rappelant les dessins de George Hardie, Isa Melsheimer met en scène dans une broderie sensuelle, douce et néanmoins provocante deux célèbres édifices romains: la Pyramide de Cestius, un tombeau dont la construction a été achevée en l’an 12 avant J.-C., et le Palazzo della Civiltà Italiana, terminé en 1943 dans le cadre du projet d’urbanisme de Mussolini dans le quartier EUR (Esposizione Universale Romana).

Les deux bâtiments ne sont pas construits côte à côte dans l’espace urbain romain et ce ne sont pas non plus des édifices postmoderne au sens strict. Néanmoins, Isa Melsheimer les rapproche naturellement et souligne ainsi la thèse de la «collage-city» pour Rome, c’est-à-dire d’une ville qui fonctionne dans son évolution non linéaire. L’œuvre d’Isa Melsheimer rappelle également que le postmodernisme avait commencé dans l’idéalisme de projets monumentaux pour finir avec des tire-bouchons et des sucriers Alessi.

Dans une performance presque ritualisée, le designer Alessandro Mendini brûlait encore en 1974 ses objets-chaises Lassù. En 1979, dans l’atmosphère avant-gardiste des débuts du postmodernisme, Mendini initiait en collaboration avec l’entreprise d’ustensiles de cuisine d’Alberto Alessi le projet Tea & Coffe Piazza qui donnait à des articles ménagers l’allure d’une microarchitecture. Par la suite, de nombreux architectes internationaux ont développé des services à thé ou à café dans le style d’un manifeste architectural.

Charles Jencks déclinait ainsi avec son service le langage formel des colonnes antiques; dans son objet en béton Tea & Coffee, Piazza d’Italia in Post-Katrina Times, Isa Melsheimer combine les plans de Charles Jencks avec la Piazza d’Italia, que la ville de New Orleans réalisa en 1978 (Charles Willard Moore, architecte). Conçue jadis
comme la place modèle du postmodernisme, elle se trouve aujourd’hui sous l’emprise de constructions récentes, des buildings écrasants l’ayant ensuite au fur et à mesure enserrée et réduit à néant l’idée d’un espace de rencontres pour la population.

Isa Melsheimer étend le jeu de citations à deux collages agencés comme des étagères: des objets-vases en céramique citent les Yantra Vases d’Ettore Sottsass, qui s’était inspiré de modèles d’architecture ou de chapiteaux, et rappellent le manifeste Delirious New York de Rem Koolhaas (1978). Trois des objets façonnés dans la technique du vitrail Tiffany font penser aux miniatures du fabricant d’ameublement Vitra: l’étagère Regal Carlton de Sottsass, une décoration de toit, et un lampadaire en forme d’étoile.

Avec des peintures murales, en prolongeant des lignes et en reliant des points, Isa Melsheimer entre en dialogue avec l’espace de la galerie, en écho au jeu postmoderne des citations, de l’ornemental et du glissement le long des surfaces. Dans ses gouaches, Isa Melsheimer intègre les collages de plans dessinés pour des bâtiments à Boston, Berlin, Londres et Rome; un renard renvoie à la thèse d’Isaiah Berlin, qui, dans un essai, juxtapose la pensée non cohérente, basée sur une grande variété d’expériences, à la pensée cohérente du hérisson, orientée par une règle simple et un principe d’organisation universel.

Le proverbe italien «Les temps sont durs, mais postmodernes» a également été repris par le philosophe allemand Peter Sloterdijk dans sa Critique de la raison cynique (1983). Sloterdijk démontre comment le cynisme d’antan — antithèse de l’Académie grecque et échappatoire pour une population dépossédée de son pouvoir politique — se métamorphose dans un système industriel ou postindustriel moderne en un cynisme d’actions purement mercantiles.

Avec humour, Isa Melsheimer affirme son scepticisme quant à l’idée que le postmodernisme ou les autres formes d’individualisme radical représentent véritablement — malgré leurs débuts idéalistes et plein d’espoir — une rupture fondamentale avec le passé. Peut-être ils incarnent plutôt les aspects d’un modernisme technologiquement rationnel, prosaïque et efficace, en étant juste une manifestation spécifique du capitalisme. L’œuvre d’Isa Melsheimer incite à explorer les champs libres dans lesquels une résistance pourrait se déployer.

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