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Thomas Kiesewetter, Anselm Reyle

La sculpture de Thomas Kiesewetter naît d’une certaine forme d’impureté. Agrégat de formes et de matériaux industriels, elle trouve son équilibre dans les dynamiques contradictoires des amoncellements qui s’imbriquent et s’harnachent les uns dans les autres. Les lignes rompues, les formes ciselées, les failles, les percées, les creux participent de cette imagerie de l’échec que véhicule incontestablement son travail.

Mais il y a dans cette brutalité manifeste, dans ces constructions interrompues, l’idée de voir apparaître une sculpture sauvage, libérée des agencements les plus conventionnels. La sculpture de Thomas Kiesewetter est bancale mais cette instabilité chronique et assumée, cette laideur affichée la rendent touchante et puissante à la fois. Il y a derrière cette fêlure, cette désorganisation patente non pas un phénomène de réduction de l’objet. Au contraire, de ce chaos va naître une tension riche et singulière, comme si l’accident, la perte de repères visuels augmentaient l’attraction du regard pour cette sculpture hors-norme.

Les influences de l’allemand lui font traverser le XXe siècle. De ces multiples plis d’acier, ces obliques hostiles et conquérantes se révèlent des attaches au constructivisme russe, chez Tatlin, Gabo ou Pevsner. Dans ces matériaux dissonants, ces articulations tendues, cette représentation de la matière avant tout, avant même les citations au corps qui traversent certaines de ses œuvres, se retrouvent des références à la sculpture américaine moderniste, celles de David Smith ou de Frank Stella.

Thomas Kiesewetter porte encore un autre héritage, celui du Pop art. Aussi hétéroclites qu’ils soient, ses assemblages s’alignent tous sur des monochromies surnaturelles, dans des tonalités inédites qui ont la propriété de transcender l’objet et de fasciner l’œil du spectateur.

Les références pop sont aussi une constante chez Anselm Reyle. La tension permanente avec le réel, l’emprise des couleurs vives et des matières brutes forment même le cœur de sa démarche. Aluminium, peinture, néons, objets de toute nature dénichés ici et là, le vocabulaire de l’allemand n’a pas de frontière ni d’a priori. Ce qui l’intéresse, ce sont les potentialités offertes par la matière. Notamment celle de pouvoir détourner l’aspect de l’objet ou à l’opposé d’en révéler la nature profonde et la richesse exclusive. Un jeu confondant, un pacte étrange que Anselm Reyle semble avoir passé avec ces matériaux du hasard.

Des matériaux qu’il collecte et destine ensuite à recouvrir ses tableaux. Assemblés à la surface, à la manière des Tableaux-pièges de Spoerri ou des Accumulations d’Arman, ces «objets trouvés» (c’est ainsi qu’il les désigne) sont ensuite dilués à la composition générale par l’application d’une couleur monochrome.
La surface «lissée», «apaisée», elle n’en reste pas moins déterminée à s’exclure du champ du tableau. Pour étendre son aura ailleurs, au-delà de la simple matérialité, dans un jeu élémentaire de séduction. L’esthétisation à outrance au risque du kitsch et du décor : Anselm Reyle plaide pour les contradictions, il mêle avec délice les matériaux pauvres et les ambiances chics, les monochromes et les reflets brillants, l’ordonnance de l’abstraction et le pouvoir d’évocation des objets.

Sa peinture est un maelström maîtrisé d’une combinaison foisonnante, depuis la réutilisation des codes de la peinture du XXe siècle (on a parlé du Pop Art et des Nouveaux Réalistes, parlons également du Dripping de Pollock ou des Neon Sign de Flavin) jusqu’à l’usage audacieux des plis, hommage discret aux Rubens et Poussin, maîtres du drapé charpenté.
Le mille-feuille de Anselm Reyle ne saurait être complet s’il n’y avait pas ce goût pour le second degré, ce regard amusé et distancié sur la noblesse des matériaux. Et pour finir cette équité parfaite entre la sobriété et le spectaculaire.

Thomas Kieseweter
— Hektor II, 2009. Métal peint, 145 x 120 x 160 cm
— La Guardia, 2009. Métal peint, 200 x 210 x 241 cm
— Pastorale, 2009. Métal peint, 149 x 283 x 188 cm

Anselm Reyle
— Untitled, 2009. Métal et néons (couleurs en alternance), 135 x 114 cm
— Untitled, 2008. Technique mixte sur toile, vitre acrylique, 71 x 60 x 15 cm
— Untitled, 2009. Technique mixte sur toile, vitre acrylique, 143 x 121 x 18,5 cm
— Untitled, 2008. Technique mixte sur toile et métal, 148 x 127 cm