ART | CRITIQUE

Thomas Grünfeld

PSarah Ihler-Meyer
@25 Mar 2009

Conçue comme un salon hors du temps et de l’espace, la nouvelle installation de Thomas Grünfeld offre au visiteur un lieu calme et apaisant. Dans cet univers de feutre et d’objets design, les tensions du monde extérieur sont résorbées.

Sur un fond bleu outre mer, des tableaux en feutres. Chacun d’eux représente des objets ou des situations insolites: un bonnet d’âne, un homme serrant dans sa bouche une carotte, un revolver transformé en petite voiture, un plateau repas, mais aussi des paysages où de grands haricots verts ont remplacé les arbres.
Posé au sol, un ensemble d’objets mobiliers issus du design des années 50 et 60, signés par des noms aussi prestigieux que Le Corbusier, Charlotte Perriand, Mathieu Matégot ou encore Michel Boyer. Le tout constitue un environnement calme et silencieux, comme hors du temps et de l’espace.

L’usure du temps semble en effet ne pas affecter ce lieu. Aucune trace de fatigue sur les meubles: le lit, le fauteuil, la table, la chaise et le bureau de cette installation sont comme neufs. Nul ne paraît s’être servi de l’un de ces objets.

L’espace, c’est-à-dire le monde extérieur, est également mis hors jeu. Faite de différences, d’hétérogénéités et donc de tensions, la réalité extérieure est résorbée par chacun des tableaux. Le feutre de ces derniers rend tout sujet, aussi étrange ou déprimant qu’il soit, inoffensif. Un plateau repas sans saveur, un homme serrant une carotte entre ses dents ou encore un bonnet d’âne, se transforment en douces compositions. En d’autres termes, les situations et les objets désagréables sont adoucis par le feutre.

Sans tension et préservée de toutes rides, l’installation de Thomas Grünfeld est un univers fermé sur lui-même, une sorte de cocon proche de ce que chacun a vécu dans le ventre de sa mère. Le retour à la situation initiale, c’est-à-dire à la vie intra-utérine, a été analysé comme le désir de se régénérer pour mieux repartir.
Or, le feutre des tableaux a plusieurs fois dans l’histoire de l’art recouvert ce sens. Avec Wall Hanging de Robert Morris, le feutre incarne l’entropie qui gouverne le monde, tandis qu’avec Infiltration homogène pour piano à queue de Joseph Beuys, il se pare de vertus réparatrices.

La sensation d’être hors du temps et de l’espace, conjuguée au feutre en tant que symbole de régénération, fait donc de cette pièce un univers serein. C’est en cela que l’œuvre de Thomas Grünfeld évoque le livre A rebours de Huysmans, dans lequel le personnage Des Esseintes s’isole pour se créer un monde factice.

Aussi, peut-être n’est-ce pas un hasard si Thomas Grünfeld a créé cette installation dans une galerie. Celle-ci, parce qu’elle fait abstraction de la réalité extérieure, a souvent été taxée d’idéologique. Mais c’est une autre histoire.

Thomas Grünfeld
— Dish, 2005. Feutre. 96 x 128 cm.
— Maggic, 2006. Feutre. 166,5 x 129 cm.
— Eros Sogno, 2006. Feutre. 154 x 152 cm.
— UMTS, 2007. Feutre. 115 x 91 cm.

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