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Think of England & Cocktail

PNatalia Grigorieva
@12 Jan 2008

Virtuose du revirement à 180 degrés, Kamel Mennour surprend en exposant le très british et très caustique Martin Parr. Les deux espaces de la rue Mazarine célèbrent la couleur et le quotidien grâce à un pot pourri d’images datant essentiellement des années 90.

Drôles, pétillantes et kitsch à souhait, les images de Martin Parr sont fidèles à elles-mêmes. Comme d’habitude. Elles démontrent une fois de plus le positionnement de leur auteur : alors que d’autres se laissent séduire par l’art contemporain, Martin Parr reste stoïque dans sa posture de photographe pur et dur, partisan du documentaire social qui l’a rendu célèbre à travers le monde.
Dédaignant les instants décisifs et autres événements à caractère exceptionnel, le photographe explore inlassablement l’esthétique de la banalité.

La présente exposition a la particularité de mettre l’accent sur la tonalité internationale de son travail. Le photographe globe-trotteur étale sous les yeux du public ses souvenirs de voyage, ses trouvailles provenant des quatre coins du monde.
Bien évidemment ses compatriotes ont la part belle avec la partie «Think of England» qui aborde leurs loisirs. Mais Martin Parr a élargi son champ d’investigation pour s’intéresser aux Russes («Stalin World»), aux Allemands («Think of Germany»), aux Japonais («Cherry Blossom Time in Tokyo»), et surtout aux Belges («Knokke-le-Zoute»).

L’occasion est de mettre en évidence le phénomène de la globalisation, de l’homogénéisation des modes de vie. Sardoniquement, le photographe se fait sociologue et observe les us et coutumes de ses contemporains pour donner matière à rire.

Ainsi, avec «Bored Couples», on s’initie à l’art de s’ennuyer, un mal inévitable du XXIe siècle. On pouffe en considérant le tourisme de masse et ces estivants qui colonisent les plages pour se tasser sur quelques centimètres de sable en se chevauchant presque («Knokke-le-Zoute» et «Think of England»).

On s’étonne qu’il puisse exister des énergumènes trouvant du plaisir à pic-niquer au bord d’un grand axe de circulation ou sur un parking. On grimace, entre dégoût et amusement, devant les saucisses, les pâtisseries et d’autres plats peu ragoûtants proposés par les services de restauration rapide («Food»). On n’ose se reconnaître en ces individus accrochés à leur téléphone portable et admettre notre addiction aux nouvelles technologies et aux gadgets divers, plus ou moins inutiles («Phone Project»).

Martin Parr a indéniablement un talent, celui de disséquer en un rien de temps les attitudes et les apparences pour dégager l’essence des tics et des travers avec une précision chirurgicale.

Bien que le documentaire social puisse se vanter de posséder aujourd’hui de nombreux disciples, le style de Martin Parr reste unique et aisément identifiable. Dans sa globalité, son travail est plus humain et plus frontal que celui de Stephen Shore, moins élitiste que celui de Jessica Craig Martin. Toutefois, les images laissent un curieux arrière-goût, une impression désagréable d’avoir été subtilement floué.

Une fois les clichés consommés, leur digestion révèle la condescendance déguisée en humour, le cynisme sous une apparente tendresse, l’ennui sous les explosions de couleurs. L’effet laisse d’autant plus pantois que celui qui tend à égratigner la globalisation est paradoxalement un des adeptes de la consommation effrénée.
Collectionneur maniaque, compulsif, voire carrément fétichiste, Martin Parr compile des instants du quotidien comme on compose un herbier. Parallèlement, en produisant des images exaltant la banalité dans un Occident qui en est déjà saturé, il met le spectateur dans une attitude de consommateur de ses pantalonnades qui sur le moment ne manquent pas de charme, mais que l’on visionne comme on s’achète une énième babiole.

Finalement la métaphore du cocktail résume bien le travail de Martin Parr : des couleurs acidulées, un goût attrayant et une nature trompeuse conduisant à des conséquences douloureuses en cas d’abus.

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