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Theatrum Mundi

PRaphaël Brunel
@12 Jan 2008

La Galerie Anne de Villepoix présente une exposition collective dans laquelle chaque artiste porte un regard singulier sur le monde, observe et retranscrit les errements d’un monde considéré comme un théâtre.

La métaphore du Theatrum Mundi a été inventée par les stoïciens à l’Antiquité, qui comparaient la vie à une pièce de théâtre, le monde à un spectacle. Repris par l’Église catholique, ce thème fleurit avec succès au XVIIe siècle, comme agent privilégié de l’entreprise d’affirmation morale menée par la Contre-Réforme.
La littérature baroque de Calderon ou de Shakespeare, par exemple, développe l’idée que la vie humaine est une comédie dont les rôles ont été attribués par Dieu et sert à rappeler que la seule liberté de l’homme consiste à faire bon usage de son libre-arbitre afin d’être sauvé, la mort venue (seule certitude du spectacle). Le Theatrum Mundi constitue donc la possibilité artistique de montrer la vanité de la comédie humaine.

En confrontant cette métaphore moralisatrice à l’héritage de Guy Debord et en présentant l’artiste comme l’individu même capable de libre-arbitre et de regard sur le monde, la Galerie Anne de Villepoix présente une exposition collective intitulée Theatrum Mundi. L’espace d’exposition devient alors un théâtre dans le théâtre, rendant compte à une échelle réduite des scènes et de l’histoire qui se jouent autour de lui. L’instant d’une exposition, la galerie devient le lieu où des artistes dénoncent l’infamie d’une société régie par une idéologie dominante.

Cette mise en scène est palpable dès l’entrée où le visiteur doit franchir une porte singulière concoctée par Satch Hoyt. Ce propylée dépouillé de tout apparat est en effet constitué d’un agencement de 160 matraques policières qui rappelle les violences «légales» infligées à la minorité afro-américaine. Cette installation est accompagnée d’un environnement sonore où résonnent les voix des victimes.
Tout comme Satch Hoyt, Javier Tellez offre une tribune aux plus démunis en exposant des écriteaux de sans-abris récupérés lors d’un séjour à Paris, avec lesquels il réalise de petites maisons en carton, comme celles que les enfants construisent dans l’espoir d’y voir s’y abriter des oiseaux.
En pendant à ce constat d’une misère palpable, Thomas Locher présente, sur des diassecs de grand format, les textes fondateurs des grandes démocraties, qui résonnent comme un échec au regard de l’œuvre de Javier Tellez.

L’exposition Theatrum Mundi insiste sur la domination et les outils de propagation de la domination des plus puissants.
La vidéo de Martha Colburn, en diffusant des peintures inspirées de la conquête de l’ouest et d’images utilisées pour légitimer la guerre en Irak, présente la politique militaire américaine comme une quête impérialiste pour étendre son influence et asseoir sa domination.
Les aquarelles de Pavel Pepperstein représentent une nuée de drapeaux américains flottant sur une mer en colère, interrogeant ainsi les symboles visuels de l’hégémonie américaine. La politique russe est également passée au crible par Alexeï Kallima, qui retranscrit, dans ses dessins de grand format au fusain, la douleur de la guerre en Tchétchénie en idéalisant les boeviki, les guerriers tchétchènes.
A son tour, le collectif d’artistes moscovites PG Group propose une version sexy et kitsch de l’art de la propagande, s’inspirant autant des arguments publicitaires capitalistes que de l’iconographie militaire.

Une réflexion sur le Theatrum Mundi passe nécessairement par un questionnement de l’histoire du monde, des sociétés et des jeux de pouvoir. Christoph Draeger, en détournant une œuvre de Joseph Beuys faisant référence à Baader et Meinhof, interroge l’histoire de l’Allemagne des années 60-70 et l’histoire actuelle, autour d’une réflexion sur le terrorisme, en déclarant qu’il «emmènera personnellement Osama Ben Laden à la Dokumenta XII».
L’artiste mexicain Maximo Gonzales, en réalisant des collages à partir des vieux billets de banques dévalués, rappelle qu’une idéologie dominante est toujours le fruit de l’alliance du pouvoir et de l’argent. Il fait écho du même coup à l’histoire agitée de l’Amérique latine.
Mark Bijl expose, quant à lui, le signe hippie «peace and love» relié à une bonbonne de gaz. En se réappropriant les symboles de la culture underground, Mark Bijl propose une voie alternative et la possibilité de pervertir l’idéologie dominante.
L’exposition se clôt sur la vidéo interactive de Peter Aerschmann. Elle soulève le problème des medias, de l’information et de la désinformation, figurant la détresse de l’individu au cœur d’un Theatrum Mundi cruel et absurde. 

Peter Aerschmann
— Theatrum Mundi, 2006. Logiciel interactif, durée illimitée.

Alexeï Kallima
— Never, 2005. Fusain, sanguine et acrylique sur toile, 158 x 560 cm.

Christoph Draeger
— Beuys, Ich Führe personïch Osama Bin Laden Durch die Dokumenta XII, 2002. Peinture acrylique sur 2 plaques de bois, 2 poteaux, paire de babouches, 170 x 140 cm.

Group PG
— Kavkaztrance, 2005. Impression sur bâche, vidéo projetée, 355 x 400 cm.

Javier Tellez
— La lettre volée, 2006. Cartons, scotch et crayons, 300 x 150 cm.

Mark Bijl
— Burning Piece, 2002. Métal, câble et bombonne de gaz, 160 cm de diamètre.

Martha Colburn
— Destiny Manifesto, 2006. Vidéo, 9 mn.

Maximo Gonzales
— Maquina Tragabala, 2006. Collage de billets de banque sur papier, 55 x 156 cm.

Pavel Pepperstein
— Seascape with American Flag, 2004. Encre indienne sur papier, 101 x 152 cm.

Satch Hoyt
— Portcullis, 2007. Matraques, dimensions variables.

Thomas Locher
— Convention Relating to the Status of Refugees, 2003. C-print sur diassec encadré, 238 x 180 cm.

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