DESIGN | CRITIQUE

The Wild Things

PEmmanuel Posnic
@13 Mai 2011

De fragments poétiques en objets prospectifs, pour The Wild Things, Didier Faustino dessine un travail singulier entre art, architecture et design. Pour sa première exposition personnelle chez Michel Rein, il pousse la réflexion à l'intérieur de l'espace domestique, dans des espaces en déroute, à vivre ou à traverser.

Les pièces de Didier Faustino s’exposent chez Michel Rein depuis quelques années, ce n’est pourtant que sa première exposition personnelle. La faute à des projets monumentaux mal taillés pour l’espace de la galerie ou peut-être la recherche d’un ensemble suffisamment cohérent à l’intérieur d’une Å“uvre marquée par une grande diversité?
Avec «The Wild Things», l’architecte, artiste, designer et «rédacteur de revue» comme il se présente lui-même, a effectivement resserré le propos et les dimensions de ses réalisations. Ce n’est d’ailleurs certainement pas anodin si les installations présentées parlent toutes d’espace, à vivre ou à traverser.

Ce sont les récits de «l’intime collectif», qui intéressent Didier Faustino, ceux qui s’installent aux avant-postes du connu. Des fragments poétiques, des expérimentations parcellaires, des fulgurances violentes et frontales, le tout à partager, à transmettre à la communauté.
Didier Faustino s’inspire de la science-fiction qu’il transpose en matériau et en architecture-sculpture, à la manière d’un Vito Acconci, d’un Ilya Kabakov ou d’un Fabrice Gygi. Si l’Å“uvre de Philip K. Dick apparaît en creux, c’est bien que Didier Faustino s’en sert comme repère pour inventer des structures prospectives à même de renverser les acquis de la réalité.

Avec «The Wild Things», la fiction est domestique. Didier Faustino nous parle d’habitat, d’espace collectif, de territoire chargé d’histoire et d’affects. Comment le présent les réactualise, les submerge ou au contraire se laisse totalement engloutir par leur pesanteur? Voici les questions que nous posent l’exposition, chaque installation figurant un pôle de la démonstration.

La vidéo Exploring Dead Buildings, tournée dans le bâtiment désaffecté du ministère géorgien des Infrastructures routières, s’engouffre dans l’obscurité des pièces sans vie de cette imposante cité administrative. La caméra est installée sur un véhicule fabriqué à l’aide des rebus laissés sur place. Le déplacement chaotique de la machine pourrait presque singer les scénarii des jeux vidéos ou les étranges engins de reconnaissance envoyés sur Mars. Sauf qu’ici le territoire à conquérir est voisin du nôtre, si ce n’est le nôtre.
La virtualité opérant à l’intérieur du réel. Et inversement, le réel qui s’invite dans la contemplation du virtuel.

Dans l’éponyme The Wild Thing, deux sculptures en bois soutenues en l’air par des fils de nylon synthétisent des trous de ver, ces espaces totalement irréels dans lesquels se glisse un autre espace-temps, entre trou noir et trou blanc. Un territoire fuyant en somme, et même invisible, im-pensable, in-qualifiable que Didier Faustino associe par contrepied à l’artisanat, à l’effort lent, précis, fastidueuse création de la main de l’homme.

L’homme-démiurge pourrait désigner cet artisan-artiste-architecte qui bâtit par la pensée des objets tendus entre le réel et la fiction. «Don’t trust architects» prédit la voix grésillante à l’intérieur des casques-cocons disposés au bout d’une tige télescopique au centre de la galerie (Instrument for Blank Architecture). Pour nous rappeler que le sabordage fait partie intégrante du projet de Didier Faustino et de son agence, le bureau des Mésarchitectures.

La mésaventure de l’architecture, si l’on devait le paraphraser, comme source de création pour l’artiste-architecte, et l’ «intranquilité» comme manifeste. Chaque projet architectural repose sur la critique raisonnée de la commande, quitte à ne pas rencontrer l’adhésion et à renoncer à la construction.
Et chaque réalisation, à l’échelle 1 ou à l’échelle de la maquette s’appuie sur une forme d’impossiblité ou d’échec opposable à la puissance anthropomorphique de l’architecture.

Malgré tout, l’architecture de Didier Faustino conduit la forme, le motif, le sujet vers une certaine renaissance. C’est cette singulière expérience qui se joue dans Scramble Suit, la transposition sur plan du film (lui-même inspiré du roman) Bye Bye Blondie de Virginie Despentes. Une jeune femme dévastée retrouve son amour de jeunesse qui la recueille chez elle. De ces amours homosexuels qui se reconstruisent naît une autre forme de reconstruction, celle d’un espace clos habité par la première femme, à l’intérieur de l’appartement qu’elles partagent. Se trament dès lors les paradoxes du dedans/dehors, de l’invitante/invitée et de l’intime reconstitué.

Du chaos naît une autre stabilité, nouvelle, obscure, plus difficile à déchiffrer et pour laquelle l’architecte n’a pas de prise. Une ironie de plus pour Didier Faustino qui conjugue analyse des rapports sociaux, critique de l’autorité quelle qu’elle soit, avec un certain plaisir, un penchant pour l’absurde et pour l’effet visuel.
L’exposition respire de ce souffle à deux courants. Bien qu’il soit parfois difficile d’associer les constructionslow-tech avec la signature minimaliste de son travail habituel, que ces premières souffrent de la comparaison plastique, il reste que le travail de Didier Faustino repassionne les croisements entre disciplines, art, architecture et design.

Å’uvres
— Didier Faustino, Exploring Dead Building, 2010. Installation composée d’un kart sans moteur modifié, d’une vidéo montée sur DVD et d’une sérigraphie sur papier. 145 x 180 x 92 cm (kart), 107 x 76 cm (sérigraphie), 13′ (vidéo)

— Didier Faustino, Intrument for Blank Architecture, 2010. Installation composée de trois trépieds de géomètre, trois casques et trois lecteurs Mp3 (aluminium, résine de polyesther et mousse en plastique), composition musicale. 100 x 400 x 850 cm

— Didier Faustino, The Hidden Pavillon, 2011. Sculpture en marbre blanc, dôme en verre. 7 x 13 x 13 cm (sculpture), 37 x 17 diam (dôme)

— Didier Faustino, The Wild Thing, 2011. Sculptures en feuillards de châtaigner. 120 x 120 x 52 cm (chaque)

 

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