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The Way Of The Dragon

PMarie-Jeanne Caprasse
@12 Jan 2008

Une exposition en champ de bataille, où les coups se donnent à l’aide de brosses et de peinture. Traduisant la violence de la nature humaine, Yan Pei-Ming dresse ses portraits en se bagarrant avec ses modèles. Quand la force du geste se transforme en énergie toute contenue…

Treize ans après sa première exposition personnelle à la galerie Anne de Villepoix, Yan Pei-Ming expose sa production récente, grands formats de deux à trois mètres de haut à la force explosive mais retenue.

Si le travail de Yan Pei-Ming s’inscrit dans une démarche occidentale, il trouve ses sujets dans ses origines chinoises : Mao, Bouddha, Bruce Lee… Comme ce dernier, il travaille à la charnière de l’Orient et de l’Occident et fait de son art de peindre un éternel combat. Œuvre centrale de l’accrochage, Bruce Lee s’inspire de l’affiche de The Way Of The Dragon, film de 1972 qui a donné son nom à cette exposition.

Installé en France depuis une vingtaine d’années, Yan Pei-Ming impose rapidement son style : une peinture à l’huile faite de larges touches de brosse noires et blanches, déclinant une variété de gris. Quelquefois, il utilise le rouge, réminiscence de la publicité chinoise. S’il travaille régulièrement le paysage, son sujet de prédilection reste le portrait.

Très productif, l’artiste crée des familles et produit des images en série. Dans la lignée d’un programme quasi warholien, il multiplie les portraits de Mao, de Bouddha , de son père… Par la répétition, il tente de saisir une part d’humanité à travers toutes ces individualités.

Il peint Mao depuis plus de trente ans. Il a commencé en Chine avec des peintures de propagande quand, à l’âge de quinze ans, il dirigeait un atelier de peinture dédié à la gloire du Grand Timonier. Depuis la France, il s’identifie à lui, y voit une image de la Chine contemporaine qu’il a quittée et y puise l’énergie de sa création. On peut en voir une version récente dans l’exposition : « Mao applaudissant ».

Rapport de force. C’est l’attitude qui se dégage de la relation établie entre le peintre et ses sujets. Le modèle est son adversaire. Yan Pei-Ming peint comme il se bagarre, lutte pour l’énergie et la violence. Ses gestes, héritage de la calligraphie chinoise, sont rapides et précis. A grands coups de brosse ou de balai, il étale des couches de peinture plus ou moins épaisses, rehaussées ici ou là de drippings. Même si les formats sont colossaux, l’artiste travaille vite, ses peintures sont bouclées en quelques heures, en un seul jet. En résulte une peinture physique et expressive, presque abstraite vue de près mais prenant forme et figurant le sujet au fur et à mesure que l’on s’en éloigne. Une peinture énergique, comme prise sur le vif.

Pour recentrer l’attention sur le sujet, il laisse ses arrière-plans dans l’indétermination. Souvent, il opère un fondu mais quelquefois, comme dans Petite Shanghaienne, il suggère par quelques traits un paysage qui se profile à l’horizon, perdu dans le brouillard.

Sa conception philosophique de l’homme reste influencée par la tradition chinoise, bien loin de la notion occidentale de l’individu. S’il travaille à partir de photos, images de papier glacé reproduites à des millions d’exemplaires, il les défigure. Un processus qui leur donne soudain vie, en troublant la fixité de l’image mais qui paradoxalement les laisse emprisonnées dans leur représentation. Si Yan Pei-Ming peint des visages, son travail ne relève d’aucune conception psychologique ou sociale du portrait. Il cherche à définir son point de vue personnel sur l’humain et montre des hommes et de femmes repliés sur eux-mêmes, sur leur univers intérieur et leur solitude. D’où l’impression d’une grande présence, d’une force intérieure qui émane de ces portraits mais aussi d’une distance infranchissable.

Ses personnages évoquent tout un monde de force contenue et retenue dans un autre monde désormais hors du temps. L’utilisation stricte du noir et blanc met à distance les émotions, le pathos. Ses CRS ont l’air de zombies, son autoportrait le représente l’œil vide et froid… des sujets qui ne semblent finalement pas si éloignés de ses personnages à la morgue : ils sont passés de l’autre côté du miroir.

L’effet est flagrant avec la confrontation de deux versions du Pape, l’une en noir et blanc et l’autre troquant le noir pour un rouge intense. Et voilà que celui qui nous donnait l’impression d’un comploteur tapi dans l’ombre dans sa version noir et blanc, se transforme en bête sauvage avide de sang. La première version, tout à sa fonction de représentation de l’idée de pape, laisse la place dans sa version carmin à la sensualité et aux émotions, pour nous entraîner dans une vision diabolique du personnage, dégoulinant de fureur et de cruauté.

D’autres œuvres interpellent par la noirceur du sujet : sa Marilyn représentant une prostituée dans une position plutôt provocante, la Mariée étendue sur son lit de mort ou La Noyée dans le Fleuve jaune entreposée à la morgue. Le tableau International Landscape, Shangai Airport donne un avant-goût de l’installation Aéroport international qui présentera du 26 mai au 6 juin prochains à la Villette un diorama de peintures panoramiques à 360° de Yan Pei-Ming.  

— Fleurs des funérailles du père (25 octobre), 2003. Huile sur toile. 200 x 200 cm
— Fleurs des funérailles du père (5 novembre), 2003. Huile sur toile. 200 x 200 cm
— Noyée dans le fleuve jaune, 2003. Huile sur toile. 235 x 250 cm.
— Mao applaudissant, 2004. Huile sur toile. 250 x 250 cm.
— Pape, 2004. Huile sur toile. 280 x 240 cm.
— Pape, 2004. Huile sur toile. 250 x 220 cm.
— Marilyn, 2004. Huile sur toile. 250 x 220 cm.
— Petite shanghaienne, 2004. Huile sur toile. 250 x 220 cm.
Yan Pei-Ming
— Mariée, 2004. Huile sur toile. 130 x 200 cm.
— C.R.S. (Commando Repression Services), 2004. Huile sur toile. 220 x 300 cm.
— Paysage international, 2000. Huile sur toile. 180 x 200 cm.
— Paysage international, 2000. Huile sur toile. 100 x 200 cm.
— Paysage international (aéroport de Shangaï), 2003. Huile sur toile. 350 x 500 cm.
— Andréa à la morgue, 2003. Huile sur toile. 235 x 250 cm.
— Autoportrait comme un Hooligan, 2003. Huile sur toile. 350 x 350 cm.
— Crâne, 2004. Huile sur toile. 150 x 150 cm.
— Crâne, 2004. Huile sur toile. 100 x 130 cm.
— Crâne, 2004. Huile sur toile. 27 x 41 cm.
— Crâne, 2004. Huile sur toile. 27 x 41 cm.
— Crâne, 2004. Huile sur toile. 27 x 41 cm.
— Crâne, 2004. Huile sur toile. 27 x 41 cm.
— Bruce Lee, 2003. Huile sur toile. 350 x 350 cm.
— Autoportrait à la morgue, 2003. Huile sur toile.

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