ART | CRITIQUE

The Screening

PMagali Lesauvage
@12 Jan 2008

Dans une scénographie perturbante, la galerie Jousse Entreprise présente une œuvre d’Ariane Michel, à la fois événement ponctuel et travail filmique. On y retrouve le thème d’une nature panthéiste, sensible dans l’œuvre de la jeune artiste.

Le synopsis de The Screening est explicité ainsi : « Une forêt, la nuit. Les rituels des bêtes nocturnes sont perturbés par la venue d’un groupe d’humains : ils s’assoient devant une surface blanche qui, plongée dans le noir, s’anime». Ce mini-événement a été organisé par l’artiste Ariane Michel en juin dernier, dans le cadre d’un «art statement», en marge de la foire d’art contemporain de Bâle : un certain nombre de personnes, répondant à une mystérieuse invitation les conviant, au milieu de la nuit, dans un bois, assiste à une projection.

Œuvre en abyme, le film montre l’environnement même dans lequel se trouve le spectateur, à savoir une forêt, habitée de ses animaux, auxquels Ariane Michel donne ironiquement le rôle de voyeurs. Le travail sur le son, très précis et rendant compte de tous les micro-événements de la forêt (hululement, piétinement, envol, halètement, etc.), rend encore plus véridique la sensation d’être à la fois dans la forêt et dans l’image : d’où proviennent les sons ? de la nature environnante ou de l’œuvre montrée ?
Lors de cette expérience bâloise, le spectateur se retrouvait ainsi pris dans une contradiction manifeste entre sensation et raison : ce que je vois correspond-il à ce que j’entends et à l’endroit où je suis ?

Ariane Michel poursuit ici une réflexion passionnante sur le regard et la vision, développant, comme dans son précédent film Les Yeux ronds (2006), un dialogue complexe entre homme et animal, civilisation et nature. A propos de celle-ci, l’artiste déclare : «J’ai trouvé en la filmant un « hiatus » qui me passionne : plus on s’en approche, plus sa « réalité » impondérable nous étonne en crevant l’écran, et en même temps plus elle se dérobe en produisant de l’insondable… ».

Dans l’espace de la galerie Jousse Entreprise, le film n’est pas visible immédiatement : encore faut-il parcourir quelques mètres entre les longs plis d’un lourd rideau noir, évocation symbolique de la forêt, avant de se retrouver dans une obscurité totale, face à la projection.
Le son très élevé donne plus encore la sensation d’être présent dans cette forêt, dont on surprend la vie cachée. Sorte de cinéma en plein air, l’expérience presque animiste de The Screening se poursuit dans la galerie, qui est à la fois le lieu, avec le musée ou le centre d’art, de la matérialisation du rapport entre l’artiste et le public, et celui, comme la salle de cinéma, de la mise en abyme de la réalité.

A noter la sortie en avril 2008 dans les salles de cinéma du premier long-métrage d’Ariane Michel, Les Hommes, film réalisé en 2006, où, dans la cadre d’une expédition au Groenland, l’artiste explore toujours encore « la puissance d’observation de la nature ».

Ariane Michel
— Storyboard, 2007. Dessin. 30 x 40 cm
— The Screening. Affiche. 120 x 160 cm
— Sans titre, 2007. Photographie couleur, tirage numérique ed5 + 2ea. 40 x 23 cm
— The Screening, 2007. DVC 24min Pro HD ed5 + 2ea

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