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The Prosperity of the Author, the Misfortune of the Plagiarist

PNicolas Bauche
@12 Jan 2008

Fidèle à Sutton Lane in Paris, la galerie Hussenot présente une poignée d’œuvres de l’Américain Justin Lieberman qui incise le rêve américain à coups de ciseaux, le couvre de dégoulinures colorées et des stigmates de la société de consommation.

Audacieuses ou impudiques? Le moins que l’on puisse dire, c’est que les inventions plastiques de Justin Lieberman ne laissent pas de marbre. L’artiste y incise le rêve américain à coups de ciseaux, le couvre de dégoulinures colorées et des stigmates de la société de consommation.
Prenons en pour exemple ces dérisoires dollars imprimés dans son atelier, caricaturés et collés sur des affiches qui empruntent tout autant aux dessins d’enfants et aux dérives publicitaires. Chez le New-yorkais, le logo Ralph Lauren voisine avec un coq de cartoon ou les touches d’une machine à calculer.
L’art de Lieberman tient du bricolage inventif, parfois de la provocation faussement immature. Au point qu’on se prend à maugréer des commentaires petits-bourgeois sur sa peinture…

Fidèle à Sutton Lane in Paris, la Galerie Hussenot présente une poignée d’œuvres de l’Américain, des papiers vélins aux dimensions souvent imposantes (jusqu’à 245 x 317 cm), où explose son goût pour l’entremêlement de l’écrit et de l’image.
L’exposition «The Prosperity of the Author, the Misfortune of the Plagiarist» répond d’ailleurs à une double problématique: «Comment intégrer du texte dans les peintures sans avoir recours à de la poésie pure et comment créer des toiles gestuelles qui ne seraient ni extravagantes ni austères ou prétentieuses d’authenticité».
Voilà une démarche ambitieuse! Les œuvres se trament dès lors de bulles fournies, de logorrhées nous prenant à parti. Ici, une bimbo trash, arrachée à un magazine chic, pérore dangereusement sur le sida («Le sida est la conséquence de la décadence morale. C’est une revanche de la nature»). Là, une beauté aux yeux bleus philosophe sur l’essence humaine («Nous estimons la valeur humaine en termes d’efficience économique et de potentiel érotique»). Lieberman pousserait-il l’audace un peu trop loin?

Plutôt que de s’offusquer bêtement, il faut voir dans ces aphorismes douteux un processus de création sophistiqué. Les raccourcis esthétiques — la photographie d’un bel éphèbe et des mots crasseux d’idiotie politique se juxtaposent dans Bug Chasers (2005) —, trouvent leur motif dans l’âtre d’une cheminée. Au premier niveau, un intérieur «cosy» (un pastiche de «home sweet home»?) aménage un point de chute douillet au visiteur: deux fauteuils moelleux invitent à s’asseoir devant une cheminée factice crépitant au son d’une télévision. A la place des flammes attendues, l’artiste a glissé un écran diffusant en boucle une vidéo aux relents étranges.
La nuit tombée, un nazi des années 40, un vétéran du Vietnam en chaise roulante et une créature féminine, condensé physique de Wonder Woman et d’une revenante, se réunissent pour un inquiétant autodafé. Une référence au Sabah d’Hamlet? Au cours de ce conciliabule, nos sorcières contemporaines brûlent Picasso, Freud ou Marx en vociférant contre la société. C’est de ce creuset diabolique qu’émanent toutes les toiles.

The Misfortune… persifle les États-Unis en les marquant au fer de ses préjugés. Réduire l’exposition à un résumé sociologique serait cependant une erreur. Liberman décharne l’écrit de toute prétention littéraire et le prend au pied de la lettre.
Une toile monologue d’un «La voix d’une femme ne peut jamais être correctement enregistrée, elle exige la présence de son corps», lancé à la cantonade, déjà un crochet vous tend un magnétophone.
Herald of Doom (for Richard Wagner) rend hommage à la musique symphonique: la peinture se fait phrasé musical et vous offre une trompette, un jouet en plastique jaune.

Le peintre hisse ainsi le dessin enfantin au rang d’œuvre d’art, tirant le meilleur parti de matériaux malfamés (la gouache, le crayon de couleur…) et d’une culture populaire, voire triviale. Son talent éclate sur ces compositions disparates, laissant percer un sens inouï du pamphlet graphique. Si le sordide de l’exposition gêne, c’est peut-être qu’on n’aura pas su y déceler le regard acéré de Lieberman…

Justin Lieberman
— Herald of Doom (for Richard Wagner), 2005. Techniques mixtes sur papier. 176 x 132 cm.
— What Happens in Afrika. Stays in Afrika, 2005. Techniques mixtes sur papier. 101.6 x 66 cm.
— Feminine Revision/Reclamation, 2005. Techniques mixtes sur papier. 101.6 x 66 cm.
— Hard Line After Hard Line After Hard Line, 2005. Techniques mixtes sur papier. 245 x 317 cm.
— The Adding Machine, 2005. Techniques mixtes sur papier. 101.6 x 66 cm.

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