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The Pit Collection

PMathilde Villeneuve
@12 Jan 2008

De Basquiat à Matthew Barney, en passant par Andy Warhol ou Picasso, un grand nombre d’artistes consacrés se sont donnés rendez-vous dans une seule et même exposition pour y déposer leurs plus petits travaux. Du jamais vu à la galerie Loevenbruck qui rassemble les genres pour une mise en scène mystérieuse.

Dès sa devanture, la galerie Loevenbruck affiche avec arrogance une liste exhaustive des plus grands noms d’artistes du XXe siècle : de Fontana, Louise Lawler à Christo mêlés aux plus improbables Jimi Hendrix ou encore Bill Clinton. La proposition est alléchante. À l’intérieur, des séries de miniatures inédites s’alignent sur les murs à la manière d’un étalage de luxe. L’affaire est entendue: il s’agit de regrouper les petits travaux des plus grands, de revenir aux miniatures et études d’œuvres colossales.

Mais à y regarder de plus près, cette jolie collection devient vite suspecte. Les premières indications sont déjà douteuses : on apprend que le travail de Jasper Johns est fait à base de LSD, tandis que le dessin de Matisse s’intitule Arbre dessiné avec génie, ou que le Clinton est un Sexual Dripping.
Humour ou sabotage? L’intervention d’un tiers se perçoit progressivement sans jamais être révélée. À travers cette exposition, c’est en fait le spectateur qui est mis à l’épreuve: sera-t-il capable d’éviter le piège ? Le titre, déjà, est révélateur: « The Pit Collection » ou la collection minée…

Cette exposition repose sur le travail plastique et sociologique d’un artiste, Patrick Jeannes, qui constate l’attention accordée par les visiteurs aux cartels—ces fameux petits cartons collés aux murs délivrant les références des œuvres—plutôt qu’aux œuvres elles-mêmes.
Le cartel tend à dépasser son but informatif pour capter toute l’attention du spectateur qui se penche un court instant sur lui, et qui consomme ainsi de l’art au lieu de déguster des œuvres. Le plaisir de voir fait place à une compulsion de lire.

Après avoir remanié les cartels d’œuvres de musées, Patrick Jeannes concrétise avec « The Pit Collection » (sa première exposition) le résultat de dix années d’exploration. Chacun des travaux présentés repose sur une étude approfondie des artistes mis en scène: entre l’écart et l’imitation, le respect et le dépassement.

L’Ohne Titel de « Joseph Beuys », composé d’une simple touffe de cheveux aplatie sous un cadre renvoie avec légèreté au travail de l’artiste qui a étendu la création à la trivialité de la vie quotidienne. Quant au Staline de « Picasso », il s’inspire directement d’une commande de portrait faite par le chef d’État soviétique. Malgré son application à le rendre réaliste, Picasso s’était vu retourner son œuvre que, vexé, il détruisit. Patrick Jeannes reconstitue le puzzle du portrait à la manière des cubistes. Full of Vitality, qui représente un berger pourvu d’horribles oreilles de cochon, évoque les transformations physiques de Matthew Barney. Enfin, après les Flags, les Three Flags et les Double Flag, séries de drapeaux américains réalisés avec obsession par Jasper Johns, « The Pit Collection » lance l’Hallucinatory Flag supposé résonner comme l’aboutissement de son œuvre.

Les cartels ainsi retravaillés entretiennent avec les œuvres une relation complice et conflictuelle. Des titres ambigus ou des indications erronées révèlent, dénoncent ou ridiculisent l’œuvre, tandis que l’humour refuse la confiance aveugle qu’on leur accorde. On assiste à une remise en cause des cartels et des renommées d’artistes assimilés à une marque de fabrique de chef-d’œuvres, ainsi qu’à la mise en évidence des difficultés à établir une proximité avec les œuvres tellement elles sont chargées de multiples sens par les critiques. Patrick Jeannes procède à un véritable bouleversement des codes du marché de l’art, et prône un retour direct à l’œuvre sans intermédiaires.

Parfois la ressemblance avec les œuvres mobilisées est trompeuse, au point d’abuser tel spécialiste de Basquiat, plus souvent, la contrefaçon s’avoue franchement. Il reste que les réactions sont multiples : certains se vexent d’avoir été bernés, d’autres se prêtent au jeu de décrypter les ressorts de la supercherie. L’exposition devient alors une promenade ludique. Enfin, la multiplicité des signatures masque celle de Pierre Jeannes: l’artiste dont le nom n’apparaît jamais.

Patrick Jeannes :
— Malcolm Morley, Artistic Debate, 1990. Acrylique sur papier.
— Robert Ryman, White Installation with Rose.
— Andy Warhol, Campbell’s Soup Can (Alternative version), 1962. Acrylique, crayon sur papier.
— Joseph Beuys, Patitur für J. Heintz, 1993. Swindle drawing.
— Joseph Beuys, Ohne Title, 1961. Swindle drawing.
— Joseph Beuys, Ohne Title, 1981. Swindle drawing.
— Jimi Hendrix, The Monterey Guitar, 1967. Firewood.
— Stephan Balkenhol, Oh, My God, 1996. Mahogany.
— Alain Declercq, Bombe Duchamp, 2003. Plastique et allumettes.
— Pablo Picasso, Staline, 1953. Work Destroyed.

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