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The Melancholy Circus

L’époque hippie a montré que les Californiens pouvaient être réceptifs aux croyances, aux théories et aux élucubrations les plus abracadabrantes. Il n’est donc pas étonnant que Marnie Weber, qui vit et travaille du côté de la côte Ouest des États-Unis, ait quelque chose d’une prêtresse New Age. Elle a créé un groupe, féminin et féministe, rock et arty, connu dans le milieu «underground» sous le nom de Spirit Girls (à ne pas confondre avec les Spice Girls!), qui est au centre d’une œuvre à base d’images bi et tridimensionnelles (photomontages et sculptures), mais aussi de musiques, de performances et de films.

Grimées en personnages de Grimm, ou de Perrault, ou de La Fontaine, ou d’Hoffmann, ou d’Andersen, les nymphettes font la fête, vaquent à leurs messes plus ou moins basses, plus ou moins noires et se lancent dans des rituels teintés de fétichisme et de bondage bon enfant.

Comme dans la mythologie grecque (le Centaure, le Minotaure, le Pégase hilarant, le Cygne de Léda, Kallisto l’oursonne, Actéon le cerf, le Sphinx énigmatique, les Sirènes enchanteresses, les Harpies, etc.) ou dans celle de Walt Disney, les animaux de Marnie Weber ont quelque chose d’inquiétant, d’anthropomorphique, alors que les humains y révèlent leur part de bestialité.
Les filles, masquées et, de ce fait, inexpressives, représentent un genre, le leur, plutôt qu’elles-mêmes ou des personnages singuliers. Par la magie du collage, et même du copiage-collage, elles peuvent passer allègrement d’un règne à l’autre, cohabiter écologiquement, pacifiquement, sans se dévorer ou se déchirer.

L’artiste se démarque de la mode «gothique» ambiante en se référant au mouvement spiritualiste américain qui, au milieu du XIXe siècle, a, paraît-il, fait une large part aux femmes. Les modèles de Marnie Weber sont vêtues de robes de cette époque, coiffées de chapeaux de paille d’autrefois, gantées et chaussettées de blanc, façon Mickey Mouse ou Michael Jackson.
Mais ça ne rigole pas pour autant. On est ici entre le monde obscur d’Allan Kardec, et celui d’Edward Alexander Crowley, dit Aleister Crowley, occultiste qui a inspiré le cinéaste «sataniste» Kenneth Anger, les musiciens de rock David Bowie, Jimmy Page, Jimi Hendrix, Ozzy Osbourne, Marilyn Manson ainsi que des groupes comme les Beatles, les Red Hot Chili Peppers, Iron Maiden, etc.

Le bestiaire de Marnie Weber est celui du cirque. Les bandes verticales rouges et blanches de la toile de chapiteau, des Buren du pauvre, servent d’ailleurs de motifs ou de fond à plusieurs compositions. Les singes, mais pas seulement eux, sont savants, les autres animaux, des bêtes de scène, tandis que les humains sont recouverts de peaux de bête.
D’un côté, on a des photomontages en grand format, avec des couleurs chatoyantes, présentant des personnages démultipliés aux contours grossièrement taillés à coups de ciseaux.
De l’autre, des sculptures, réalistes et fantastiques, comme celle d’une femme assise sur la dépouille d’un ours brun, cette autre d’une femme debout habillée de l’écorce d’un arbre, ou une série de trophées mixant mannequins féminins et têtes animalières naturalisées, ou encore la femme vêtue d’un costume de Pierrot et casquée d’une tête d’hippopotame…

Il n’est pas si simple que cela de traiter de sujets rebattus comme ceux du clown, du cirque et de l’animalité après les milliers de films, de publicités, de clichés de toutes sortes qui ont exploité ces filons.
Après le Judex de Franju ou les sempiternelles images du carnaval de Venise, ce n’est pas vraiment évident. Après le film The Greatest Show on Earth de Cecil B. DeMille dans lequel James Stewart se déguisait, ou plutôt se camouflait, en Auguste pour échapper à la police, après la dégradation de l’image du clown blanc par un marchand de hamburgers, de saucisses et de frites congelées, on pouvait en effet craindre le pire de la part d’une artiste contemporaine. Mais Marnie Weber se sort parfaitement de cette épreuve et soutient la comparaison avec ses illustres aînés.

Au sous-sol de la rue Duchefdelaville, on projetait en boucle le court métrage tourné par l’artiste en 16 mm couleur, A Western Song, film à la fois narratif (le générique indique bien «Story by Marnie Weber») et un peu expérimental sur les bords (on y prend son temps, on n’hésite pas à incliner la caméra pour faire entrer tous les personnages dans le cadre, on se permet des ellipses, des faux raccords, on laisse entrer le jour sous forme de flashes entre deux prises de vue, le film a été tourné en muet et post-sonorisé au moyen d’une bande musicale un peu funèbre, dans le style des instrumentaux de Nico).
L’errance de cette Alice qui paraît tout de même un peu attardée dans le village fantôme et les paysages californiens poussiéreux où l’on dû tourner une quantité industrielle de westerns a quelque chose de pathétique. On n’est pas loin, par moments, du mélo à la Griffith.
 

Marnie Weber
— Clown Couple, 2008. Techniques mixtes.
— Baboon, 2008. Techniques mixtes.
— Aardvark, 2008. Techniques mixtes.
— Little Guy, 2008. Techniques mixtes.
— Spirit Tree, 2008. Techniques mixtes.
— The Chimp, 2008. Techniques mixtes.
— Spirit Girls on Bearskin Rug (with Balloon), 2008. Techniques mixtes.
— Antelope Bust, 2008. Techniques mixtes.
— Horse Bust, 2008. Techniques mixtes.
— Panther, 2008. Techniques mixtes.
— Tiger Lady, 2008. Techniques mixtes.
— A Western Song, 2007. Film.
— The Arrival of the Circus Clowns, 2008. Techniques mixtes.
— The Saloon at Dusk, 2008. Techniques mixtes.
— A Ride Through the Bridge, 2008. Techniques mixtes.
— Melancholy Elephants, 2008. Techniques mixtes.
— The Great Circus Fire, 2008. Techniques mixtes.
— Transformation by the Tree of Fire, 2008. Techniques mixtes.
— Circus Runaways, 2008. Techniques mixtes.
— After the Circus Fire, 2008. Techniques mixtes.
— Romantic Journey, 2008. Techniques mixtes.
— After the Circus Fire, 2008. Techniques mixtes.
— The Leopardess, 2008. Techniques mixtes.
— Voyage in the canoe, 2008. Techniques mixtes.

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