ART | CRITIQUE

The Happy Failure

PNicolas Villodre
@04 Juil 2008

Des dessins sur la performe où Chris Burden, en 1971, s’est tiré une balle dans un bras, et un film montré en boucle narrant les aventures du véhicule d’un jeune pêcheur irlandais mort en 1982, dont la fourgonnette est restée garée des années durant avec les clés sur son tableau de bord…

Soit d’un côté de la pièce du fond de la galerie Xippas un carrousel Kodak comme on n’en voit plus depuis des lustres diffusant en boucle des diapos qui passent en revue le local désaffecté à l’enseigne de «National Balloon».
Et, sur le pan du mur contigu, des dizaines de petits croquis à la mine de plomb un peu naïfs, style BD ou vignettes de journaux, consacrés au récit de la performance masochiste de Chris Burden, en 1971, qui consistait à se tirer une balle dans un bras.
Une des esquisses précise le nom et l’adresse de la galerie où eut lieu ce crime d’automutilation : F-Space Gallery, 1819-F E. Edinger, Santa Ana (Californie), devenue, si l’on a bien compris, la petite usine à baudruches «National Balloon».
Près de la fenêtre, une vitrine expliquant l’histoire de la fourgonnette de Barry et les dessins préparatoires ou le storyboard du film qu’on peut voir sur le grand écran plat accroché au mur.

Les artistes qui n’ont pas fait les beaux-arts sont obligés de rattraper leur faiblesse technique par quelque chose d’autre. S’ils persistent dans le domaine de la peinture, ils peuvent toujours se singulariser en accentuant la déformation, en jouant avec la matière ou avec la couleur, comme quantité de peintres, du Greco à Rouault, de Chagall aux adeptes de la «Bad Painting». Sinon, ils peuvent toujours faire dans le conceptuel, le sociologique, le multimédia, etc. Un peu comme ici.

Jorge Satorre n’est donc pas convaincant quand il étale ses croquades. Sa vidéo The Barry’s Van Tour est, en revanche une réussite. Un petit bijou. Ce court métrage peut se contempler indéfiniment. Il n’a pas besoin de tout l’appareillage discursif expliquant le projet prémâchant le travail du spectateur, à grands renforts de philosophes, historiens, poètes convoqués malgré eux, cités hors de propos, pillés ou tout simplement détournés…

Le film est monté et montré en boucle et, du coup, on a du mal à en distinguer le commencement de la fin. Car, précisément, on nous narre, de façon laconique, les aventures ou les avatars du véhicule d’un certain Barry, un jeune pêcheur irlandais mort en 1982, dont la fourgonnette est restée garée des années durant avec les clés sur son tableau de bord.

Jorge Satorre a donc fait une «intervention» sur le processus de décomposition des êtres (leur mort physique et leur disparition symbolique) et des choses (le coup de la panne technique).
En réparant le van de Barry, en mettant en scène les étapes de sa restauration, l’artiste entretient aussi la mémoire du défunt — il dit avoir voulu réaliser un «monument local spontané». Le ton neutre, sec, prosaïque de cette épopée et l’épisode de la traversée en bateau fait penser aux premiers westerns de Ford et au court métrage, métaphysique et sombre, de Dreyer, De nåede færgen (1948), titre traduit en français par Ils attrapèrent le bac.

La réparation-résurrection du véhicule entretient le souvenir de son propriétaire auprès des gens qui l’ont bien connu. Mais ce cycle est lui aussi de courte durée, la camionnette ayant fini sa course, peu de temps après cette ultime croisière, à la case départ.

Jorge Satorre
— National Balloon, 2006. 45 dessins mine de plomb. 21 x 27,9 cm
— National Balloon, 2006. 13 diapositives.
— The Barry’s Van Tour, 2007. 7 dessins mine de plomb. 21 x 27, 9 cm
— The Barry’s Van Tour, 2007. Vidéo. 13 min 33 sec

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