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The Fragile Feast

La nature a depuis longtemps gagné ses lettres de noblesse, mais sa dynamique créative l’engage dans des renouvellements constants, comme en témoigne.

Inspirée par le chef espagnol Adria Ferran, inventeur de la cuisine moléculaire, Hannah Collins a photographié pour la série «The Fragile Feast» (Le festin fragile) les produits qui composent cette cuisine: des ingrédients à l’état brut en cours de préparation, mais aussi dans les plats.

Au cours d’un voyage sur les lieux d’origine des produits de la cuisine moléculaire, Hannah Collins s’est introduite dans la recherche planétaire des mets les plus rares et les plus savoureux. Au terme de cette traversée des continents, elle a publié le livre The Fragile Feast : Routes to Ferran Adrià composé de quelque 200 clichés. L’enjeu de l’aventure n’était pas de photographier des plats mais de découvrir les dessous d’un art culinaire, et de suivre les produits sur de longues distances pour mesurer la complexité et le raffinement de cette cuisine.

La photographe explore l’immense étendue géographique que rassemble l’entreprise cosmopolite de collecte et de mariage des ingrédients les plus rares et des saveurs les plus subtiles.

On contemple les tentacules violacées d’une anémone de Cadix qui, prise dans l’instant de sa fraicheur extrême, électrifie notre regard. Près du Mont Fuji de longues tiges de roses, entreposées dans des caisson esseulés sur le sol brulé de l’Équateur poétisent la distance qu’il leur reste à parcourir jusqu’au restaurant. Dégagée des liens explicites avec la cuisine, la photo bascule dans le reportage.

Au moment où l’on évoque le projet de construire un musée dédié à l’art culinaire, il est temps de s’interroger sur les moyens de faire passer dans un contexte muséal les saveurs éphémères du comestible. Hannah Collins redonne à la photographie son rôle de capteur d’instant et l’inscrit dans la perspective de faire rentrer la cuisine au musée.

On découvre également la dimension sacrée du rituel de préparation d’une sauce au soja au travers des pages ouvertes d’un manuscrit du XVIIe siècle sur lesquelles on tente de déchiffrer les rapports reliant la sauce au soja et les mystérieux diagrammes figurant sur les pages du manuscrit ouvert.
La cuisine moléculaire, plus proche des manufactures de bonbons gélifiés que des restaurants traditionnels, joue d’une secrète connivence avec les traditions millénaires.

Manger avec les yeux plus qu’avec la bouche : c’est ce credo de cette cuisine que prolonge le travail d’Hannah Collins. Les plaisirs de la découverte, de la connaissance et de la forme se mêlent à ceux du goût, des odeurs et des couleurs. Est beau ce qui est bon, et ce qui se mange intelligemment…

Oeuvres
— Hanna Collins, Anemones 3, 2011. C-Print. 130 x 130 cm
— Hanna Collins, Seaweed, 2011, C-print. 130 x 130 cm
— Hanna Collins, Soy, 2011, C-print. 130 x 130 cm
— Hanna Collins, Earth 5, 2011, C-print. 130 x 130 cm
— Hanna Collins, Seaweed, 2011, C-print. 130 x 130 cm

Bibliographie
Hannah Collins, The Fragile Feast : Routes to Ferran Adrià, ed. Hatje Cantz, 2011