ART | CRITIQUE

The Curse of the Monk

PNicolas Villodre
@05 Juin 2009

Un ménage à la ville peut-il continuer à l’être, sur le plan artistique? C’est ce que pensent Iris van Dongen et Dionisis Kavallieratos, qui exposent ensemble leurs dernières productions dans le magnifique garage réhabilité de la rue de l’Équerre, à Belleville.

Pour conjurer le mauvais sort que leur jeta un jour un moine grec du mont Athos suite à une exposition qui n’avait pas eu l’heur de lui plaire, Iris van Dongen et Dionisis Kavallieratos ont ironiquement intitulé leur nouvelle collaboration The Curse of the Monk (La Malédiction du moine), bien que ce sujet ne soit à aucun moment abordé, ni dans la thématique (portraits de jeunes femmes pour l’une, dessins humoristiques plus ou moins politiques pour l’autre), ni même dans le dispositif ou la scénographie choisis (opposition entre le dessin et la sculpture, différences d’approche entre le miniaturisme grisâtre de Dionisis Kavallieratos et l’expansionnisme coloré d’Iris van Dongen).

À propos d’Iris van Dongen, le talent et la manière singulière de la jeune artiste lui ont permis non seulement d’avoir une cote sur le marché de l’art (ses œuvres s’estiment avec quatre zéros), mais aussi de se faire un prénom.
La jeune trentenaire peint à la craie de couleur et à l’aquarelle sur de très grands folios des autoportraits ou des portraits de coreligionnaires au nez assez affirmé ; par ailleurs, elle crée un personnage au nez très allongé, une sorte de Pinocchio féminin, qu’on retrouvera également en porcelaine.
Son style rappelle celui de l’art figuratif 1900: un mixte de Jugendstil, de réalisme très IIIe République comme celui des fresques qui ornent encore des préaux de lycées ou des gares (voir Le Départ des poilus, 1914, d’Albert Herter, gare de l’Est, à Paris), un symbolisme ou un préraphaëlisme éthéré.
Le traitement graphique respecte les codes académiques mais laisse apparaître les traces de la personnalité de l’artiste, ce malgré les poses assez convenues des modèles, pris de profil, de trois quarts, en pied, mais au regard fuyant, tourné vers le côté ou orienté vers le ciel. Une indiscutable langueur se dégage des visages…

La mythologie gréco-latine, mais pas seulement, n’a aucun secret pour Dionisis Kavallieratos. Ses dessins et ses figurines en céramique traitent avec humour de thèmes classiques aussi bien que de préoccupations politiques plus contemporaines.
Une certaine maladresse du trait de crayon, assumée comme il se doit, lui permet de faire passer ce qui lui trotte par la tête, en toute ingénuité.

Il place donc sur le même plan, cavalièrement, des personnages historiques tels que Dante (systématiquement représenté au côté de Pellelo di Cavla, un héros imaginaire, l’alter ego de l’artiste), Hitler (avec ou sans son double, sur le papier ou sur un  socle, fumant une cigarette blonde allumée distraitement par le filtre, lui autorisant le jeu de mots minable: «Heil Filter» !), Mao (les guerriers siamois à tête de Grand Timonier sont censés évoquer le mouvement révolutionnaire kenyan des Mau Mau!), Napoléon (en exhibitionniste ouvrant sa capote en laine face à une vierge pas vraiment effarouchée), Winston Churchill faisant machinalement le «V» de la victoire et ceux de la mythologie plébéienne (Marilyn, le pirate Edward Teach, surnommé Barbenoire, la Vierge Marie, etc.) qui lui permettent de se livrer aux rapprochements les plus étranges.

Son goût pour la subculture est sincère. C’est pourquoi, contrairement aux m’as-tu-vu et autres gros malins qui exploitent le filon populiste à des échelles différentes (Pierre et Gilles, Jeff Koons, Jérôme Deschamps, etc.), le regard de l’artiste peut paraître candide. Le Pop l’a sans doute décomplexé et lui a permis, en tout cas, de dépasser la question du «bad gusto».
De toute façon, un homme qui admire Black Sabbath (le groupe de rock mythique d’Ozzy Osbourne et de Tony Iommi, représenté ici en train de donner un concert devant un public… animalier) et, en particulier, son album Paranoid, ne peut pas vraiment être mauvais !

Qui dit mythe errant, dit Panthéon. Qui dit héros dit terreau. C’est la raison pour laquelle la mort est présente dans les illustrations bi ou tri-dimensionnelles. Dante et son double dantesque, tous deux statufiés, manquent être fusillés par des soldats soviétiques tirant heureusement à côté de la plaque avec leur tromblon à baïonnette. Le diable est omniprésent — à tout moment on s’attend à Satan. La Marilyn à la robe plissée immaculée n’a rien d’autre à dévoiler d’elle que sa tête de mort.
Tout est donc à double tranchant: le vrai comme la faux. La mort emporte en beauté tout ce qui se trouve à sa portée. Dionisis Kavallieratos sculpte la starlette en petite vieille rabougrie, voûtée, déambulant la canne à la main.

Ce thème obsédant trouve son expression la plus spectaculaire dans le mausolée que Dionisis Kavallieratos imagine et dessine en grand et toujours en noir et blanc. Un monumental tertre funéraire orné de dizaines de gargouilles plus morbides les unes que les autres…

Dionisis Kavallieratos
Pirrot the Mighty #2, 2009. Ceramic, 90 cm x 28 cm x 21 cm.
The Old Bordello on the Hill of Sold Souls # 4, 2009. Pencil on paper, 170 cm x 220 cm.
What a Great Band, 2009. pencil on paper, 32 cm x 42cm.

Iris van Dongen

The Abduction, 2009. crayon, pencil, pastel, pressed charcoal, gouache on paper, 221 x 125 cm. Pièce unique.
The Seduction, 2009. pencil, pastel, pressed charcoal, gouache on paper, 220 x 139 cm. Pièce unique.
The Liberation, 2009. Pastel, pressed charcoal, gouache on paper, dimensions variables, 138 cm x 69 cm.

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