ART | EXPO

The Construction of Harmony

13 Jan - 03 Mar 2007

Des sculptures et peintures inédites d'Anselm Reyle sont présentées dans tout l’espace de la galerie sur les deux niveaux.

The Construction of Harmony d’Anselm Reyle

Jens Asthoff : Dans les années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, les artistes manifestent un regain d’intérêt pour les styles historiques et leur appropriation. Voyez-vous dans ce phénomène une analogie à votre propre recours aux formes picturales du modernisme ?
Anselm Reyle : Je pense que cela m’intéresse d’un point de vue totalement différent. Emprunter des choses au passé pour leur donner une forme actuelle n’est pas mon propos. Je rencontre dans la modernité des «objets trouvés» qui me fascinent; ensuite j’intensifie cette fascination, et c’est là ce que je veux montrer. Les styles m’intéressent d’une certaine façon dans la mesure où ils présentent ce même élément de «déjà vu», comme c’est le cas des stripe paintings, par exemple. Le principe est d’une telle simplicité que tous les étudiants des beaux-arts y ont recouru à un moment ou un autre. On vous dit généralement que c’est dépassé, fini, que c’était à la mode dans les années soixante et qu’à cette époque même, ce n’était pas nouveau. Or, dans les années quatre-vingt-dix, ces stripe paintings furent remises au goût du jour, non sans ironie, par des artistes comme Heimo Zobernig. Mais l’ironie n’est pas la seule chose que je trouve intéressante à ce sujet.

Jens Asthoff : Lorsque vous procédez à des appropriations de ce genre, vous exploitez pleinement la spécificité des matériaux et des couleurs, vous recherchez l’effet et aliénez les paradigmes hérités de la tradition en élevant la température chromatique générale. Vous détournez de sa vocation première l’élément emprunté cette référence que l’on peut encore reconnaître ou pour le moins deviner —et, à partir de là, produisez un mélange où l’indéfinissable, la vacuité et l’intensité se confondent. Ce qui conduit à un poli et une neutralité uniques, très particuliers, qui revêtent à leur tour le caractère très personnel d’un style : votre style.
Anselm Reyle : Oui, je recherche une certaine neutralité, mais il faut, simultanément, que celle-ci soit ouverte et chargée subjectivement. Je ne vois pas mon travail comme cet art froid des jeux vidéo (Neo-Geo).

Jens Asthoff : Pouvez-vous donner plus de précisions sur ce rapport entre neutralité et subjectivité ?
Anselm Reyle : Je procède intuitivement. Mais la collaboration avec des assistants m’est, à cet égard, très utile. Ces conditions de travail me conviennent : elles me laissent le temps de prendre des décisions, et la prise de décisions devient aussi plus aisée. Si je décide qu’un tableau doit être refait, je ne me sens pas aussitôt confronté à une tâche énorme. S’agissant des stripe paintings, la méthode est parfaite. Naturellement, je décide du choix des couleurs mais à part cela, je ne fais rien d’autre qu’appliquer quelques touches de peinture à la fin, ou modifier la coloration d’une bande. Ici la subjectivité s’investit moins dans le geste que dans la décision, capable pour sa part d’infléchir radicalement la plasticité de l’œuvre. L’attitude du spectateur n’est pas non plus la même si, au lieu de trois stripe paintings, il en voit trente ou cinquante. En outre, je suis fasciné par la multiplicité des couleurs et la diversité des associations auxquelles elles se prêtent. Il est possible de peindre une stripe painting dans une tonalité sombre, saturnienne, mais aussi bien dans une tonalité lumineuse, aérée, estivale. Une fois un tableau achevé, on peut très bien avoir en tête les trois tableaux suivants. Seul le travail avec des assistants permet ce genre de spéculations projectives ; il me permet, en outre d’élaborer cette relation particulière entre neutralité et subjectivité.

Jens Asthoff : Mais n’est-ce pas différent d’user de sa propre liberté gestuelle ? Certes, cette liberté de la main ne se laisse pas programmer de la même manière… En outre, j’ai le sentiment que vous faites ici dans une certaine mesure, à titre individuel, le procès de la composition et que la question qui vous préoccupe est de savoir à partir de quel moment une chose est un tableau et à partir de quel moment cette chose bascule dans un état de non-définition. Est-ce là ce qui, dans le domaine pictural, vous intéresse ?
Anselm Reyle : La composition est une chose qui, dans le contexte de l’abstraction classique, me paraît contestable, voire suspecte. On explore les latitudes de l’espace pictural puis, adoptant un comportement parfaitement traditionnel en termes de composition, on s’assure du bon emplacement d’une ligne, située à présent dix centimètres plus loin, à droite ou à gauche. Je vois là un découpage maniaque de cheveux en quatre. Mais après tout on ne change pas aisément ses habitudes. J’aime depuis toujours l’élement de simplicité qui caractérise l’attitude de Karl Otto Götz; la simplicité de la question de savoir à quel moment un tableau devient un tableau. On vide deux pots de peinture sur une toile, on essuie la peinture trois fois de suite avec un chiffon, on la laisse sécher et on vend le tableau à un musée. Les choses peuvent se résumer ainsi. Or je veux, moi, faire éclater cette simplicité au grand jour. Vider un tube de peinture, promener le pinceau deux ou trois fois sur la pâte : cela me fascine réellement. Et cela pourrait être achevé dès la dernière ligne droite du pinceau. Je veux enregistrer ce moment précis et, simultanément montrer à quel point il est illégitime d’affirmer que la chose ainsi faite est un tableau. Ce n’était pas le propos d’artistes comme K.O. Götz qui, au contraire, essayait de perfectionner sa démarche. Au moment où j’ai analysé l’abstraction gestuelle pour ma propre édification, j’ai noté le peu d’intérêt qu’éveillait en moi l’idée de l’artiste rivé à son corps, captif de son geste. Le résultat m’est apparu comme inerte. Un artiste comme Götz s’enfonçait toujours plus loin dans une sorte de maîtrise bouddhiste zen, et c’est précisément à cela que je veux échapper.
Extrait de l’article « Anselm Reyle » par Jens Asthoff, Flashart, Juillet-septembre 2006

Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Emmanuel Posnic sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.

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