PHOTO | CRITIQUE

The Athens Effect. L’image d’art dans la photographie contemporaine

PEtienne Helmer
@12 Jan 2008

«The Athens Effect» ou comment neuf photographes grecs nous invitent à changer de regard sur leur pays : sous les clichés touristiques de l’«Athènes éternelle» et de ses monuments, tout est misère, froideur et pollution.

L’Occident célèbre dans la Grèce et Athènes le berceau des lumières, la source de la beauté des formes par quoi l’art triomphe du chaos, le lieu de naissance de la politique et de la démocratie. Un tourisme plus ou moins authentique fait depuis longtemps commerce de ce passé glorieux sur papier glacé: ciels flamboyants, Parthénon éclatant dans la chaleur de l’été…

Mais le soleil du passé peut rendre aveugle à la réalité du présent et aux perspectives d’avenir. Car derrière les cars de touristes par milliers, une autre Athènes vit (ou meurt?) de sa modernité. «The Athens Effect» offre ainsi un panorama sans fard de la capitale grecque, de ses difficultés économiques, sociales et politiques, que l’absence de tout cliché de l’Acropole fait d’autant mieux apparaître.

L’Athènes contemporaine étouffe sous la pollution et l’épaisse fumée jaillie des cheminées d’usines (Christina Dimitriadis). Ces «colonnes grecques» ne construisent rien mais au contraire détruisent le patrimoine culturel et naturel: il «part en fumée» et celle-ci, dans sa grisaille au bord de l’indiscernable, devient progressivement l’unique objet du triptyque Cheminées.

L’usage de la couleur n’inverse pas ce constat acerbe mais sert la même intention démystificatrice: la ville devient décor, et la chaleur de la lumière naturelle laisse place à la froideur des néons dans un appartement et un passage souterrain déserts (Panos Kokkinias).
Les ciels d’un rougeoiement outrancier caractéristiques des cartes postales sont coupés de leur référent habituel: ils n’illuminent plus les monuments célèbres mais un énorme cargo et des centaines de voitures neuves sur le quai, prêtes à être chargées, ou encore une vaste décharge en pleine ville (Nikos Markou). Ils n’auréolent plus les sommets de l’architecture grecque mais le prosaïsme de l’industrialisation triomphante et de ses désastres écologiques.

Pandelis Lazaridis associe cet usage critique de la couleur à une pixellisation et un morcellement de ses images, qui évoquent des scènes de rues. Leur lisibilité se trouve ainsi suspendue à un décryptage et une recomposition visuelle de leur unité, comme si pour voir le présent de la Grèce il fallait, une complète réforme du regard.

La modernité économique a son pendant social, pour le moins paradoxal: Athènes est à la fois saturée par son tissu urbain d’une densité étouffante (Nikos Markou) et effrayante de solitude: les intérieurs ultramodernes glacés et vides (Panos Kokkinias) ou les portes closes (Dimitra Lazaridou) évoquent un monde à l’abandon, et un cafard mort, sur le dos, dans l’angle d’une pièce, fait craindre qu’il ne soit plus habitable (Panos Kokkinias).
En périphérie de la ville, les Roms vivent dans des lieux précaires, entre chantiers et décharges (Maria Papadimitriou). Le tatouage maladroit du sigle de Nike sur la poitrine et le bras d’un enfant témoigne cette appropriation purement symbolique des biens de consommation qui est le triste privilège de la misère.

Ce qui fait défaut à cette nouvelle Athènes, ce sont enfin les canons de la beauté grecque. La beauté singulière d’Hélène a cédé la place au gigantisme agressif des visages stéréotypés de six jeunes femmes: tout droit sorties des dessins animés japonais, elles ne se distinguent que par les couleurs tapageuses de leurs bouches et de leurs mèches, qui sont sensiblement les mêmes (Despina Meimaroglou).

La tristesse générale de ces images évoque les mots désabusés de Jacques Lacarrière en octobre 1976 à la fin de L’Été Grec: «[La Grèce] a-t-elle peur d’avoir congédié si vite son passé, de s’en être trop facilement déchargé sur les touristes […]? A-t-elle peur, au contraire, de cet avenir si neuf, si prometteur maintenant que la démocratie est revenue sur cette terre mais qui se manifeste aussi — déjà — par ses nuisances: pollution, embouteillages, engorgements des vacances, rendement à tout prix de la chaleur solaire et extinction concomitante de la chaleur humaine?» (Paris, Plon, 1988, p. 410). Trente ans plus tard, ces images d’asphyxie et de solitude apportent une terrible réponse.

Kostas Bassanos
— 10.30 Am, 2007. Photographie couleur.

Christina Dimitriadis
— Chimneys #2, 2006. Photographie couleur.

Panos Kokkinias
— F1, 2003. Photographie couleur.

Dimitra Lazaridou
— The Unborderville series, 2005. Photographie couleur.

Pandelis Lazaridis
— Border Line, Or the Red Dead Zone From the Archive Readings : //Urban Bits series, 2003-2004. Photographie couleur.

Despina Meimaroglou
— Portraits From The East Of Eden Series, 2000. Photographie couleur.

Nikos Navridis
— Difficult Breaths #9, 2004. Photographie couleur.

Maria Papadimitriou
— T.A.M.A, 1998-2006. Photographie couleur.

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