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The Air Is on Fire

PMaxime Thieffine
@12 Jan 2008

L’exposition événement du cinéaste américain présente ses peintures, dessins, photographies et sculptures. David Lynch y dévoile l’image d’une Amérique provinciale hors du temps, comme vue au travers des yeux d’une Laura Palmer au masculin: lui-même, un Beavis et Butthead au pays de Salvador Dali.

Les expositions de cinéastes sont désormais monnaie courante, entre le Centre Pompidou (Hitchcock puis Godard), la nouvelle Cinémathèque française (Renoir, Almodovar) et la Fondation Cartier. Après Raymond Depardon et Agnès Varda, voici venu le cinéaste américain David Lynch.

Le fan des films de Lynch retrouvera les figures-clés de ses films : des femmes belles et menaçantes (au travers d’un série photographique de nus en couleur), des monstres fantomatiques (une autre série réalisée à partir d’images érotiques anciennes, retouchées, découpées, mutilées), ses décors de banlieues désertes (usines abandonnées, machines électriques archaïques), mais sans le glamour tout hollywoodien de ses récits. Ici, vous entrez dans le Lynch intime, fait main et sans contrainte de genre.

Ses peintures, dessins et photographies sont des outils parallèles au cinéma pour un homme qui cherche à fixer des visions et des figures intérieures qu’il lui faudra ensuite scénariser et incarner sur un plateau. Car le cinéma ne vous permet de toucher une caméra qu’une fois par an, au mieux. Et pour chercher, explorer et approfondir certains enjeux, des médiums plus légers sont utiles. Ils sont pour Lynch des pense-bêtes, les dépositaires d’un imaginaire actif et encombrant.
Comme une thérapie ou une soupape, les oeuvres présentées ici sont modestes artistiquement. Pour les décrire visuellement, il faudrait les situer entre l’illustration populaire trash (Raymond Pettibon, Daniel Johnston) et le néo expressionnisme (trait schématique et archaïsant, sujet violent), entre le dessin automatique et l’art brut (trait enfantin, écriture de graffiti et goût matiériste à la Dubuffet).

Sans murs et tout de verre, le vaste rez-de-chaussée de la Fondation Cartier est peu propice à des accrochages de peintures. En concertation avec l’artiste, d’énormes structures métalliques noires ont été conçues pour servir de cimaises. Hauts d’environ 4 mètres, les panneaux supportent un long rideau de couleur (évoquant les outre-mondes théâtraux de ses films).
D’un côté comme de l’autre, les toiles sont suspendues par d’épaisses tiges métalliques. La circulation labyrinthique proposée au spectateur s’accompagne aussi d’une bande sonore, sombre et spectaculaire, typique des films d’angoisse. Cette ambiance sonore repose sur des nappes et basses synthétiques que le spectateur peut enrichir de résonances macabres en appuyant sur des boutons rouges disséminés le long du parcours.

La quarantaine de toiles présentées, dont la production s’étale des années 80 jusqu’aux débuts des années 2000, ignorent le temps, au niveau de leur évolution interne comme de leur contemporanéité avec le monde de l’art.
Le monde de Lynch est régressif, nécrophile et anti-formel. Du pain béni pour les analyses psychanalytiques avec ses corps fragmentés, disloqués et mutants, avec cette écriture malaisée et vacillante qui s’inscrit souvent sur la toile ou avec ses titres illustratifs obéissant à la logique toute personnelle d’un enfant nommant ce qu’il vient de peindre.

Les sujets de ses peintures tiennent dans leurs titres : This Man Was Shot 0952 Secondes Ago, Bob Burns A Tree, Bob Loves Sally Until She Is Blue In The Face… Des histoires de chiens, de meurtres, de sang, de cauchemars, de maison ou de corps menacés dont la dimension schématique devient symbolique d’une Amérique profonde et provinciale, coupée du langage et de toute culture, ne s’exprimant alors que par l’action violente (au dehors) ou le cauchemar (au dedans).
On est en plein dans l’esthétique de la tache, du flou, de la souillure et d’un glauque très adolescent. Souvenez-vous quand vous avez découvert Francis Bacon! On est devant une version XIXe siècle — car limitée à la toile peinte et influencée par Odilon Redon ou l’expressionnisme — des personnages et du théâtre grotesque de l’Amérique de Paul McCarthy. Beavis et Butthead chez Salvador Dali !

Une immense série de petits dessins réalisés sur tous types de supports papiers, au feutre ou au stylo bille, est montrée pour la première fois. Des exercices scolaires (il a fait les beaux-arts à Philadelphie dans les années 60) qui imitent Klee, Twombly, le constructivisme, Magritte, le graffiti en passant par l’illustration.
On voit un individu qui cherche à faire passer son Moi dans des formes. Il y dépose ainsi progressivement des thèmes et des ambiances que l’on retrouvera dans les décors et les ambiances de ses films. Ses photographies exposées au sous-sol, documentent ses observations sur les ruines industrielles et la banlieue américaine et constituent autant de repérages pour ses lieux de tournages (de Eraserhead à Mulholland Drive).

Une petite salle de projection diffuse en continu ses premiers courts-métrages expérimentaux en parallèle d’une installation: un décor expressionniste allemand colorié à la manière de Hervé Di Rosa. Plus comique que flippant. Par contre, en sortant de l’exposition, ne ratez pas la station service et le Passage d’Enfer donnant sur le boulevard Raspail, visions lynchiennes ready-made par excellence.

David Lynch
— Sans Titre, sans date. Feutre sur papier. 7,6 x 7,6 cm.
— Untitle, sans date. Feutre sur papier. 7,6 x 7,6 cm.
— Do You Want to Know What I Really Think?, 2005. Impression jet d’encre, matériaux divers. Giclé print, mixed media. 152,4 x 296 x 10,2 cm
— Sans Titre, sans date. Feutre sur papier. 10,3 x 15,2 cm.
— Sans Titre, sans date. Photographie noir et blanc. 27,9 x 35,3 cm.
— Sans Titre,sans date. 27,9 x 35,3 cm.
— Rain, 2005. Aquarelle sur papier. 15 x 22,5 cm.

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