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That’s Painting Productions

PHélène Sirven
@12 Jan 2008

«That’s Painting Productions, Bernard Brunon. Pour tous vos travaux de peinture, travail soigné, prix compétitifs». Une «Entreprise générale de peinture», car la meilleure manière d’intervenir artistiquement (et au fond politiquement) dans la société est d’y être présent économiquement, par le moyen d’une structure professionnelle qui relie l’art et l’industrie. Un art ancré dans la vie, la vie quotidienne.

Bernard Brunon peint et repeint. Il est précis, discret et rigoureux («le travail est soigné»). Son action picturale, souvent précédée de dessins, semble bien traduite par le texte qui figure au-dessus de l’image centrale du polyptique exposé dans la galerie. «With less to look at, there is more to think about» (moins il y a à regarder, plus il y a à penser), telle est la devise de cette entreprise unique en son genre.

Minimaliste et conceptuel ? Il est dans l’action d’abord, avec des participants : son équipe, les clients, les artistes, le public, les fournisseurs de musée dont Soussan Ltd. Que peint Bernard Brunon ? Des murs, des pièces, des lieux, des espaces, des musées, des immeubles, des appartements, des maisons, depuis 1975. Mais il y a un autre texte sur le PLV. Il s’agit d’une citation de Greil Marcus — extraite du fameux Lipstick Traces. A Secret History of the Twentieth Century (1989) — à propos de la stratégie de Guy Debord : «C’est dans le royaume du marginal et de l’insignifiant que commence toute critique du quotidien et donc toute critique de la réalité sociale».

Bernard Brunon peint des sortes de grands monochromes — ou pas — dans la réalité des lieux où il intervient, liant étroitement art et industrie, une industrie critique, une entreprise qui est en fait une performance à large échelle, dans le temps et dans l’espace. Bernard Brunon est un artiste qui affirme que la peinture reste avant tout un recouvrement particulier, composé de plusieurs couches, une action qui demande du métier. Très simple, «pour que le fond retrouve la forme», le médium est littéralement étendu sur le mur, en suivant — ou pas — l’architecture, dans des situations précises.

Peindre dans l’acte fondateur de la peinture, avant même la fresque, et après l’abstraction. Supports et surfaces sont présents, par la couleur, la matière, l’espace, la sensation, la fonction. Bernard Brunon a voulu se dégager de toute représentation, c’est pourquoi le mur est le support privilégié; la toile renverrait encore trop à l’histoire que peut raconter le tableau, aux figures de la mimêsis, à ses avatars.

Peindre (avec de la couleur) c’est recouvrir un support, aller au bord, suivre des lignes, et créer un espace qui établit des liens avec les différents axes du métier: un métier qui ne sépare pas l’artiste de l’artisan, ni de l’entrepreneur ; Bernard Brunon dit clairement que la meilleure manière d’intervenir artistiquement (et au fond politiquement) dans la société c’est d’y être présent économiquement, par le moyen d’une structure professionnelle qui relie l’art et l’industrie. Un art ancré dans la vie, la vie quotidienne.

D’autres artistes, de Duchamp à Stella, ont manifesté l’importance de formes d’art inscrites dans le réel, en dehors des règles de l’illusion, de la tradition picturale issues de la Renaissance — sans pour autant oublier que l’artiste du XVIe siècle est lié à la commande. L‘importance du processus, de la perception de l’espace, selon des perspectives multiples, de la participation d’un public de connaisseurs — ou pas —, ne peut que renforcer un questionnement énergique sur ce qui relève de l’artistique aujourd’hui.

Le travail de Bernard Brunon et de son entreprise s’écarte du ready-made, car la production réalisée a besoin de l’acte technique qui consiste à peindre, donc à conserver le geste de l’artiste, matériellement ; autrement dit, sa «touche» n’a pas disparu.
Bernard Brunon signe ses murs d’une écriture qui possède la même couleur que celle de la surface recouverte. Cette signature se confond avec la matière peinte, elle est présente sans être directement visible.

«That’s Painting Productions» va jusqu’aux limites de la peinture, elle établit un pont entre une très ancienne définition de l’humanité (laisser une trace), et les points les plus avancés de la modernité et de la post-modernité (la persistance de la peinture comme interrogation inépuisable des conditions de l’art dans une société donnée).

Dans la galerie Le Sous-sol, un lien a été revivifié avec l’œuvre de Neal Beggs, le processus a été vécu, enregistré, l’espace a été subtilement transformé pour un moment de socialité, pour un temps. La couleur a joué son rôle, par le geste mesuré de Bernard Brunon. «Wet Painting» indiquait que, au fil des heures, le travail s’effectuait. Processus et concept ont été une fois encore actifs, avec la souplesse élégante d’une très haute qualité.

— Rebouchage des 250 trous de l’exposition précédente (Neal Beggs), préparation des murs et peinture en rouge brique (Tollens 303).
— PLV, 2002. Photo et texte sur aluminium. 4 panneaux articulés de 2,35 x 0,70 m chacun.
— Retransmission de la prestation les 22 et 23 mai au Bar’Zinc. (2 vidéos, l’une au bar, l’autre dans la galerie).

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