ART | CRITIQUE

Tête dure

PCathy Larqué
@12 Jan 2008

Qui fait quoi? Qui est qui ? Le jeu du who’s who n’épargne pas le monde merveilleux de l’art contemporain. Que celui qui n’a jamais lancé un «Il a fait quoi avant?» se jette sur la première cimaise. Jouons ensemble et conformons-nous à nouveau aux règles de l’étiquette.

Mounir Fatmi est un artiste marocain né à Tanger en 1970. Polymorphe, le sujet de son travail aborde, de manière directe à travers divers médias (sculpture, installation, photographie et peinture), la culture orientale en général, la religion musulmane en particulier. Sont traités ses particularismes, son histoire, ses manifestations et sa position au sein d’un contexte géo-politique global, considéré parfois à travers ses traits médiatiques.
J’entends d’ici monter le réflexe cérébral abordé plus haut: «Artiste engagé». Comme toute facilité trop évidente, cette catégorisation signifierait passer à côté de l’essentiel, vous en conviendrez. Et puis l’expression seule ne veut rien dire de toute façon. Alors, continuons.

Un Rubik’s Cube de la Kaba, Casse-tête pour musulman modéré (2004); une série de manuels populaires, La Guerre pour les nuls (2005), Le Paradis pour les nuls (2005): les œuvres de Fatmi ne se départissent jamais d’humour. D’absurdité aussi. Un sabre repose à l’horizontale, sous verre, aux côtés d’une main coupée. La tradition médiévale de Les Voleurs (2006) signale les paradoxes de l’économie mondiale à l’échelle locale. Une tradition médiévale perdure face à la précarité imminente des ressources naturelles — le pétrole — sur fond de consommation galopante. Le couple du sabre et de la main forme le serpent qui se mord la queue: un pays s’automutile et se prive ainsi d’une main d’œuvre nécessaire.

L’art du détournement n’est pas l’apanage des terroristes et des médias.

L’inoffensivité apparente d’objets banals utilisés dans les œuvres de Fatmi fait pourtant vaciller de concert les faits et leurs analyses. Save Manhattan (2003-2004) rassemble plusieurs livres publiés à partir des événements du 11 septembre dans une sorte de synthèse rétrospective. Même si la pièce a la taille d’une maquette, la vue — n’ayons pas peur de le dire — aérienne et simultanée de cette masse d’ouvrages et de son ombre portée, suffit à donner le vertige.

Les symboles s’interchangent, ce qui est vu se mêle à ce qui est lu, les victimes des uns sont les bourreaux des autres. Dans ce magma symbolique teinté de crises culturelles, le pouvoir médiatique et de l’image instille son goutte-à-goutte en intra-veineuse jusqu’à l’overdose.

Les bombes artisanales ceinturent l’abdomen d’Occidentaux. Pour gagner son paradis il suffit de se faire sauter les tripes. Que recherchent les jeunes kamikazes si ce n’est la gloire à tout prix, post-mortem incluse ? L’Evolution ou la mort (2004), répond Mounir Fatmi. L’hypertrophie communicative, les réseaux proliférant mutent les sujets en gorgones ébouriffées de câbles. Dans Séquences sculpture (1997-2004), les morceaux de leur corps sont fixés sur le mur — après explosion ?

Au mur toujours, Saddam Hussein humilié et captif, les cheveux hirsutes, ouvre la bouche à l’auscultation américaine. Fatmi, lui, regarde déjà ailleurs, sur la planète Mars. Et si? Et si Mars était peuplée, la religion emporterait-elle ses symboles, ses signes de reconnaissance? Le work in progress exposé à la galerie débouchera sur un projet de film entre l’artiste marocain et l’Iranienne Shirin Neshat. À cette association avec une artiste dont la place de la femme dans la société orientale est souvent le pivot des œuvres, préfigure l’orée utopiste. L’outil filmographique apportera sa part de fiction, de tangibilité surtout.

Les oeuvres de Fatmi sont sans repos, ni halte. Simples dans leur forme et subtiles, elles renversent les systèmes établis par l’ouverture de voies multiples, comme les réseaux qu’elles décrivent si souvent. Au premier abord exotiques ou méconnues, elles se métamorphosent, avec une évidence presque arrogante, en objets universels. En cela, les œuvres de Mounir Fatmi marquent davantage l’avènement d’une forme de conscience globale que celle d’un combat personnel.

Les vidéos de Mounir Fatmi, Lida Abdul et Regina José Galindo sont actuellement projetées au capcMusée de Bordeaux dans l’exposition Courants alternatifs jusqu’au 1er octobre.

Cette exposition participe au programme « Rendez-vous dans les galeries », une initiative de «Francofffonies ! le festival francophone en France».

Mounir Fatmi
— Tête dure, 2005. Sérigraphie.
— Casse-tête pour musulman modéré, 2004. Acrylique sur 5 rubiks Cubes transformés.
— Les Voleurs, 2006. 5 mains en plâtre, sabre et drapeau de l’Arabie Saoudite, vitrine.
— Prophets Project, 2006. Installation, peinture murale, câble d’antenne et cube en K7 VHS.
— L’Evolution ou la mort, 2004-2005. Tirages couleur sur toile.
— Save Manhattan 01, 2003-2004. Livres, éclairage sur socles.
— Les Liaisons, 1999-2004. Sculpture, câbles d’antenne et tube en fer.
— Les Liaisons, n.d. Série de 38 dessins sur papier
— Les Nuls, n.d. Tirages numériques sur papier sérigraphie.
— Le Paradis pour les nuls, n.d. Tirages numériques sur papier sérigraphie.
— Dans la bouche de Saddam Hussein, Week-end painting du 17 mars 2006, acrylique sur toile.
— Les Autres, c’est les autres, 1999. Vidéo, France-Maroc, 11 mn.

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